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LETTRE ENCYCLIQUE
DU SOUVERAIN PONTIFE
JEAN-PAUL II
Vénérés Frères, chers Fils,
Salut et Bénédiction apostolique!
1. La mission du
Christ Rédempteur, confiée à l’Église, est encore bien loin de son achèvement.
Au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d'ensemble porté sur
l'humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous
devons nous engager de toutes nos forces à son service. C'est l'Esprit qui
pousse à annoncer les grandes œuvres de Dieu : « Annoncer l’Évangile, en effet,
n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui,
malheur à moi si je n'annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16).
Je ressens
impérieusement le devoir de répéter ce cri de saint Paul, au nom de toute
l’Église. Dès le début de mon pontificat, j'ai choisi de voyager jusqu'aux
extrémités de la terre pour manifester ce zèle missionnaire; et, précisément, le
contact direct avec les peuples qui ignorent le Christ m'a convaincu davantage
encore de l'urgence de l'activité missionnaire à laquelle je consacre la
présente encyclique.
Le deuxième Concile du
Vatican a voulu renouveler la vie et l'activité de l’Église en fonction des
besoins du monde contemporain; il en a souligné le caractère missionnaire
en le fondant de manière dynamique sur la mission trinitaire elle-même. L'élan
missionnaire appartient donc à la nature intime de la vie chrétienne et il
inspire aussi l'œcuménisme : « Que tous soient un ... afin que le monde croie
que tu m'as envoyé » (Jn 17, 21).
2. Les fruits
missionnaires du Concile sont déjà abondants : les Églises locales se sont
multipliées, avec leurs évêques, leur clergé et leur personnel apostolique ; on
constate une insertion plus profonde des communautés chrétiennes dans la vie des
peuples, la communion entre les Églises entraîne un échange intense de biens
spirituels et de dons ; l'engagement des laïcs dans l'évangélisation est en
train de modifier la vie ecclésiale ; les Églises particulières s'ouvrent à la
rencontre, au dialogue et à la collaboration avec les membres d'autres Églises
chrétiennes et d'autres religions. Et surtout, une conscience nouvelle
s'affirme, à savoir que la mission concerne tous les chrétiens, tous les
diocèses et toutes les paroisses, toutes les institutions et toutes les
associations ecclésiales.
Cependant, en ce
« nouveau printemps » du christianisme, on ne peut taire une tendance négative
que ce document désire contribuer à surmonter : il semble que la mission
spécifique ad gentes devienne moins active, ce qui ne va assurément pas
dans le sens des directives du Concile et de l'enseignement ultérieur du
Magistère. Des difficultés internes et externes ont affaibli l'élan missionnaire
de l’Église à l'égard des non-chrétiens, et c'est là un fait qui doit inquiéter
tous ceux qui croient au Christ. Dans l'histoire de l’Église, en effet, le
dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son
affaiblissement est le signe d'une crise de la foi
.
Vingt-cinq ans après la
conclusion du Concile et la publication du décret Ad gentes sur
l'activité missionnaire, quinze ans après l'exhortation apostolique Evangelii
nuntiandi du Pape Paul VI, je voudrais inviter l’Église à renouveler
son engagement missionnaire, poursuivant ainsi l'enseignement de mes
prédécesseurs à ce sujet
.
Le présent document a un objectif d'ordre interne : le renouveau de la foi et de
la vie chrétienne. En effet, la mission renouvelle l’Église, renforce la foi et
l'identité chrétienne, donne un regain d'enthousiasme et des motivations
nouvelles. La foi s'affermit lorsqu'on la donne ! La nouvelle
évangélisation des peuples chrétiens trouvera inspiration et soutien dans
l'engagement pour la mission universelle.
Mais ce qui me pousse
plus encore à proclamer l'urgence de l'évangélisation missionnaire, c'est
qu'elle constitue le premier service que l’Église peut rendre à tout homme et à
l'humanité entière dans le monde actuel, lequel connaît des conquêtes admirables
mais semble avoir perdu le sens des réalités ultimes et de son existence même.
« Le Christ Rédempteur — ai-je écrit dans ma première encyclique — révèle
pleinement l'homme à lui-même....] L'homme qui veut se comprendre lui-même
jusqu'au fond...] doit ...] s'approcher du Christ. ...] La Rédemption réalisée
au moyen de la Croix a définitivement redonné à l'homme sa dignité et le sens de
son existence dans le monde »
.
Il ne manque pas
d'autres motivations et d'autres objectifs : répondre aux nombreuses requêtes
d'un document de cette nature; dissiper les doutes et les ambiguïtés au sujet de
la mission ad gentes, en confirmant dans leurs engagements nos frères et
sœurs méritants qui se consacrent à l'activité missionnaire ainsi que tous ceux
qui les aident ; promouvoir les vocations missionnaires; encourager les
théologiens à approfondir et à exposer systématiquement les divers aspects de la
mission ; relancer la mission de manière spécifique, en engageant les Églises
particulières, spécialement les jeunes Églises, à envoyer et à recevoir des
missionnaires; assurer les non-chrétiens et, en particulier, les pouvoirs
publics des pays vers lesquels s'oriente l'activité missionnaire, que celle-ci a
pour fin unique de servir l'homme en lui révélant l'amour de Dieu qui s'est
manifesté en Jésus Christ.
3. Vous tous
les peuples, ouvrez les portes au Christ ! Son Évangile n'enlève rien
à la liberté de l'homme, au respect dû aux cultures, à ce qui est bon en toute
religion. En accueillant le Christ, vous vous ouvrez à la Parole définitive de
Dieu, à Celui en qui Dieu s'est pleinement fait connaître et en qui il nous a
montré la voie pour aller à Lui.
Le nombre de ceux qui
ignorent le Christ et ne font pas partie de l’Église augmente continuellement,
et même il a presque doublé depuis la fin du Concile. A l'égard de ce nombre
immense d'hommes que le Père aime et pour qui il a envoyé son Fils, l'urgence de
la mission est évidente.
D'autre part, notre
temps offre à l’Église de nouveaux motifs d'agir en ce domaine : l'écroulement
d'idéologies et de systèmes politiques oppressifs ; l'ouverture des frontières
et l'édification d'un monde plus uni, grâce au développement des
communications ; dans les peuples, la reconnaissance croissante des valeurs
évangéliques que Jésus a incarnées dans sa vie (paix, justice, fraternité,
attention aux plus petits) ; un modèle de développement économique et technique
sans âme mais qui invite à chercher la vérité sur Dieu, sur l'homme, sur le sens
de la vie.
Dieu ouvre à l’Église
les horizons d'une humanité plus disposée à recevoir la semence évangélique.
J'estime que le moment est venu d'engager toutes les forces ecclésiales dans la
nouvelle évangélisation et dans la mission ad gentes. Aucun de ceux qui
croient au Christ, aucune institution de l’Église ne peut se soustraire à ce
devoir suprême: annoncer le Christ à tous les peuples.
4. « A toutes les
époques, et plus particulièrement à la nôtre, le devoir fondamental de l’Église
— comme je le rappelais dans ma première encyclique qui avait valeur de
programme — est de diriger le regard de l'homme, d'orienter la conscience et
l'expérience de toute l'humanité vers le mystère du Christ »
.
La mission universelle
de l’Église découle de la foi en Jésus Christ, comme le proclame la profession
de foi trinitaire : « Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique
de Dieu, né du Père avant tous les siècles ...]. Pour nous les hommes, et pour
notre salut, il descendit du ciel. Par l'Esprit Saint, il a pris chair de la
Vierge Marie, et s'est fait homme »
.
L'événement de la Rédemption est le fondement du salut de tous, « parce que
chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus Christ s'est uni
à chacun, pour toujours, à travers ce mystère »
.
La mission ne peut être comprise et fondée que dans la foi.
Et pourtant, à cause des
changements de l'époque moderne et de la diffusion de nouvelles conceptions
théologiques, certains s'interrogent : la mission auprès des non-chrétiens
est-elle encore actuelle ? N'est-elle pas remplacée par le dialogue
inter-religieux ? La promotion humaine n'est-elle pas un objectif suffisant ? Le
respect de la conscience et de la liberté n'exclut-il pas toute proposition de
conversion ? Ne peut-on faire son salut dans n'importe quelle religion?
Alors, pourquoi la mission ?
5. En remontant
aux origines de l’Église, nous voyons clairement affirmé que le Christ est
l'unique Sauveur de tous, celui qui seul est en mesure de révéler Dieu et de
conduire à Dieu. Aux autorités religieuses juives qui interrogent les Apôtres au
sujet de la guérison de l'impotent qu'il avait accomplie, Pierre répond :
« C'est par le nom de Jésus Christ le Nazôréen, celui que vous, vous avez
crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts, c'est par son nom et par nul autre
que cet homme se présente guéri devant vous ... Car il n'y a pas sous le ciel
d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac
4, 10. 12). Cette affirmation adressée au Sanhédrin, a une portée universelle,
car pour tous — Juifs et païens —, le salut ne peut venir que de Jésus Christ.
L'universalité de ce
salut dans le Christ est affirmée dans tout le Nouveau Testament. Saint Paul
reconnaît dans le Christ ressuscité le Seigneur : « Car — écrit-il —, bien qu'il
y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux — et de fait il y a
quantité de dieux et quantité de seigneurs —, pour nous en tout cas, il n'y a
qu'un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes, et un seul
Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes » (1 Co
8, 5-6). Le Dieu unique et l'unique Seigneur sont proclamés par contraste avec
la multitude des « dieux » et des « seigneurs » que le peuple reconnaissait.
Paul réagit contre le polythéisme du milieu religieux de son temps et met en
relief le trait caractéristique de la foi chrétienne: la foi en un seul Dieu, et
en un seul Seigneur envoyé par Dieu.
Dans l’Évangile de saint
Jean, l'universalité du salut par le Christ comprend les aspects de sa mission
de grâce, de vérité et de révélation : « Le Verbe est la lumière véritable, qui
éclaire tout homme » (cf. Jn 1, 9). Et encore : « Nul n'a jamais vu
Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l'a fait connaître » (Jn
1, 18 ; cf. Mt 11, 27). La révélation de Dieu devient, par son Fils
unique, définitive et achevée : « Après avoir, à maintes reprises et sous
maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui
sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu'il a établi héritier de toutes
choses, par qui aussi il a fait les siècles » (He 1, 1-2; cf. Jn
14, 6). Dans cette Parole définitive de sa révélation, Dieu s'est fait connaître
en plénitude : il a dit à l'humanité qui il est. Et cette révélation
définitive que Dieu fait de lui-même est la raison fondamentale pour laquelle
l’Église est missionnaire par sa nature. Elle ne peut pas ne pas proclamer
l’Évangile, c'est-à-dire la plénitude de la vérité que Dieu nous a fait
connaître sur lui-même.
Le Christ est l'unique
médiateur entre Dieu et les hommes : « Car Dieu est unique, unique aussi le
médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est
livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués et dont
j'ai été établi, moi, héraut et apôtre — je dis vrai, je ne mens pas —, docteur
des païens, dans la foi et la vérité » (1 Tm 2, 5-7 ; cf. He 4,
14-16). Les hommes ne peuvent donc entrer en communion avec Dieu que par le
Christ, sous l'action de l'Esprit. Sa médiation unique et universelle, loin
d'être un obstacle sur le chemin qui conduit à Dieu, est la voie tracée par Dieu
lui-même, et le Christ en a pleine conscience. Le concours de médiations de
types et d'ordres divers n'est pas exclu, mais celles-ci tirent leur sens et
leur valeur uniquement de celle du Christ, et elles ne peuvent être considérées
comme parallèles ou complémentaires.
6. Il est
contraire à la foi chrétienne d'introduire une quelconque séparation entre le
Verbe et Jésus Christ. Saint Jean affirme clairement que le Verbe, qui « était
au commencement avec Dieu », est celui-là même qui « s'est fait chair » (Jn
1, 2. 14). Jésus est le Verbe incarné, Personne une et indivisible : on ne peut
pas séparer Jésus du Christ, ni parler d'un « Jésus de l'histoire » qui serait
différent du « Christ de la foi ». L’Église connaît et confesse Jésus comme « le
Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Le Christ n'est autre que
Jésus de Nazareth, et celui-ci est le Verbe de Dieu fait homme pour le salut de
tous. Dans le Christ « habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité »
(Col 2,9) et «de sa plénitude nous avons tous reçu» (Jn 1, 16). Le
« Fils unique qui est dans le sein du Père » (Jn 1, 18) est « le Fils
bien-aimé, en qui nous avons la rédemption ... Dieu s'est plu à faire habiter en
lui toute la Plénitude et, par lui, à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi
bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa
Croix » (Col 1, 13-14. 19-20). C'est précisément ce caractère unique du
Christ qui lui confère une portée absolue et universelle par laquelle, étant
dans l'histoire, il est le centre et la fin de l'histoire elle-même ;
« Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin »
(Ap 22, 13 ).
S'il est donc normal et
utile de prendre en considération les divers aspects du mystère du Christ, il ne
faut jamais perdre de vue son unité. Alors que nous découvrons peu à peu et que
nous mettons en valeur les dons de toutes sortes, surtout les richesses
spirituelles, dont Dieu a fait bénéficier tous les peuples, il ne faut pas les
disjoindre de Jésus Christ qui est au centre du plan divin de salut. Comme,
« par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à
tout homme », « nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon
que Dieu connaît, la possibilité d'être associés au Mystère pascal »
.
Le plan de Dieu est de «ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les
êtres célestes comme les terrestres» (Ep 1, 10).
7. L'urgence de
l'activité missionnaire résulte de la nouveauté radicale de la vie
apportée par le Christ et vécue par ses disciples. Cette vie nouvelle est un don
de Dieu, et il est demandé à l'homme de l'accueillir et de le développer, s'il
veut se réaliser selon sa vocation intégrale en se conformant au Christ. Tout le
Nouveau Testament est un hymne à la vie nouvelle pour celui qui croit au Christ
et vit dans son Église. Le salut dans le Christ, dont l’Église témoigne et
qu'elle annonce, est la communication que Dieu fait de lui-même : « C'est
l'amour qui non seulement crée le bien, mais qui fait participer à la vie même
de Dieu, Père, Fils et Esprit Saint. En effet, celui qui aime désire se donner
lui-même »
.
Dieu offre à l'homme
cette nouveauté de vie. « Peut-on refuser le Christ et tout ce qu'il a apporté
dans l'histoire de l'homme ? Certainement oui. L'homme est libre. L'homme peut
dire à Dieu: non. L'homme peut dire au Christ : non. Mais demeure la question
fondamentale : est-il permis de le faire, et au nom de quoi est-ce permis ? »
.
8. Dans le monde
moderne, il existe une tendance à réduire l'homme à la seule dimension
horizontale. Mais que devient l'homme sans ouverture à l'Absolu ? La réponse se
trouve dans l'expérience de tout homme, mais elle est aussi inscrite dans
l'histoire de l'humanité avec le sang versé au nom des idéologies et par des
régimes politiques qui ont voulu construire une « humanité nouvelle » sans Dieu
.
Du reste, le Concile
Vatican II répond à ceux qui ont le souci de protéger la liberté de conscience :
« La personne humaine a droit à la liberté religieuse.[...] Tous les hommes
doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des
groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en
matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché
d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public,
seul ou associé à d'autres »
.
L'annonce et le
témoignage du Christ, quand ils sont faits dans le respect des consciences, ne
violent pas la liberté. La foi exige la libre adhésion de l'homme, mais elle
doit être proposée parce que les « multitudes ont le droit de connaître la
richesse du mystère du Christ, dans lequel nous croyons que toute l'humanité
peut trouver, avec une plénitude insoupçonnable, tout ce qu'elle cherche à
tâtons au sujet de Dieu, de l'homme et de son destin, de la vie et de la mort,
de la vérité. ...] C'est pourquoi l’Église garde vivant son élan missionnaire,
et même elle veut l'intensifier dans le moment historique qui est le nôtre »
.
Il faut cependant dire, toujours avec le Concile, que, « en vertu de leur
dignité, tous les hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de
raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité
personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation
morale, à chercher la vérité, tout d'abord celle qui concerne la religion. Ils
sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler
toute leur vie selon les exigences de cette vérité »
.
9. Église est la
première bénéficiaire du salut. Le Christ se l'est acquise par son sang (cf.
Ac 20, 28) et l'a appelée à coopérer avec lui à l'œuvre du salut universel.
En effet, le Christ vit en elle; il est son époux; il assure sa croissance; il
accomplit sa mission par elle.
Le Concile a amplement
souligné le rôle de l’Église pour le salut de l'humanité. Tout en reconnaissant
que Dieu aime tous les hommes et leur accorde la possibilité d'être sauvés (cf.
1 Tm 2, 4)
,
l’Église professe que Dieu a constitué le Christ comme unique médiateur et
qu'elle-même est établie comme sacrement universel de salut
:
« Ainsi donc, à cette unité catholique du peuple de Dieu, tous les hommes sont
appelés ; à cette unité appartiennent sous diverses formes, ou sont ordonnés, et
les fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et
finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu appelle au
salut »
.
Il est nécessaire de tenir ensemble ces deux vérités, à savoir la possibilité
réelle du salut dans le Christ pour tous les hommes et la nécessité de l’Église
pour le salut. L'une et l'autre nous aident à comprendre l'unique mystère
salvifique, et nous permettent ainsi de faire l'expérience de la miséricorde
de Dieu et de prendre conscience de notre responsabilité. Le salut, qui est
toujours un don de l'Esprit, requiert la coopération de l'homme à son propre
salut comme à celui des autres. Telle est la volonté de Dieu, et c'est pour cela
qu'il a fondé l’Église ,et l'a incluse dans le plan du salut: ce peuple
messianique, dit le Concile, « établi par le Christ pour communier à la vie, à
la charité et à la vérité, est entre ses mains l'instrument de la Rédemption de
tous les hommes; au monde entier il est envoyé comme lumière du monde et sel de
la terre »
.
10.
L'universalité du salut ne signifie pas qu'il n'est accordé qu'à ceux qui
croient au Christ explicitement et qui sont entrés dans l’Église. Si le salut
est destiné à tous, il doit être offert concrètement à tous. Mais il est
évident, aujourd'hui comme dans le passé, que de nombreux hommes n'ont pas la
possibilité de connaître ou d'accueillir la révélation de l’Évangile, ni
d'entrer dans l’Église. Ils vivent dans des conditions sociales et culturelles
qui ne le permettent pas, et ils ont souvent été éduqués dans d'autres
traditions religieuses. Pour eux, le salut du Christ est accessible en vertu
d'une grâce qui, tout en ayant une relation mystérieuse avec l’Église, ne les y
introduit pas formellement mais les éclaire d'une manière adaptée à leur état
d'esprit et à leur cadre de vie. Cette grâce vient du Christ, elle est le fruit
de son sacrifice et elle est communiquée par l'Esprit Saint : elle permet à
chacun de parvenir au salut avec sa libre coopération.
C'est pourquoi le
Concile, parés avoir affirmé le caractère central du Mystère pascal, déclare :
« Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour
tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la
grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation
dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir
que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité
d'être associés au Mystère pascal »
.
11. Que dire
alors des objections déjà évoquées à l'égard de la mission ad gentes ?
Dans le respect de toutes les convictions religieuses et de toutes les
sensibilités, avant tout, nous devons affirmer avec simplicité notre foi dans le
Christ, seul Sauveur de l'homme, foi que nous avons reçue comme un don d'en
haut, sans mérite de notre part. Nous disons avec Paul : « Je ne rougis pas de
l’Évangile : il est une force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit » (Rm
1, 16). Les martyrs chrétiens de tous les temps — et aussi de notre temps — ont
donné et continuent de donner leur vie pour rendre témoignage de cette foi
devant les hommes, convaincus que tout homme a besoin de Jésus Christ, lui qui a
vaincu le péché et la mort et réconcilié les hommes avec Dieu.
Le Christ s'est proclamé
Fils de Dieu, intimement uni au Père, et il a été reconnu comme tel par ses
disciples, confirmant ses paroles par des miracles et par sa résurrection
d'entre les morts. L’Église offre aux hommes l’Évangile, document prophétique
qui répond aux exigences et aux aspirations du cœur humain : il est toujours
« Bonne Nouvelle ». L’Église ne peut se dispenser de proclamer que Jésus est
venu révéler le visage de Dieu et mériter, par la Croix et la Résurrection, le
salut pour tous les hommes.
A la question
pourquoi la mission ?, nous répondons, grâce à la foi et à l'expérience de
l’Église, que la véritable libération, c'est s'ouvrir à l'amour du Christ. En
lui, et en lui seulement, nous sommes libérés de toute aliénation et de tout
égarement, de la soumission au pouvoir du péché et de la mort. Le Christ est
véritablement « notre paix » (Ep 2, 14), et « l'amour du Christ nous
presse » (2 Co 5, 14), donnant à notre vie son sens et sa joie. La
mission est un problème de foi ; elle est précisément la mesure de notre foi
en Jésus Christ et en son amour pour nous.
Aujourd'hui, la
tentation existe de réduire le christianisme à une sagesse purement humaine, en
quelque sorte une science pour bien vivre. En un monde fortement sécularisé, est
apparue une « sécularisation progressive du salut », ce pourquoi on se bat pour
l'homme, certes, mais pour un homme mutilé, ramené à sa seule dimension
horizontale. Nous savons au contraire que Jésus est venu apporter le salut
intégral qui saisit tout l'homme et tous les hommes, en les ouvrant à la
perspective merveilleuse de la filiation divine.
Pourquoi la mission ?
Parce que, à nous comme à saint Paul « a été confiée cette grâce-là, d'annoncer
aux païens l'insondable richesse du Christ » (Ep 3, 8). La nouveauté de
la vie en lui est la Bonne Nouvelle pour l'homme de tous les temps : tous les
hommes y sont appelés et destinés. Tous la recherchent effectivement même si
c'est parfois de manière confuse, et tous ont le droit de connaître la valeur de
ce don et d'y accéder. L’Église, et en elle tout chrétien, ne peut cacher ni
garder pour elle cette nouveauté et cette richesse, reçues de la bonté divine
pour être communiquées à tous les hommes.
Voilà pourquoi la
mission découle non seulement du précepte formel du Seigneur, mais aussi de
l'exigence profonde de la vie de Dieu en nous. Ceux qui font partie de l’Église
catholique doivent se considérer comme privilégiés et, de ce fait, d'autant plus
engagés à donner un témoignage de foi et de vie chrétienne qui soit un
service à l'égard de leurs frères et une réponse due à Dieu, se souvenant que
« la grandeur de leur condition doit être rapportée non à leurs mérites, mais à
une grâce spéciale du Christ ; s'ils n'y correspondent pas par la pensée, la
parole et l'action, ce n'est pas le salut qu'elle leur vaudra, mais un plus
sévère jugement »
.
12. « “Dieu riche
en miséricorde” est Celui que Jésus Christ nous a révélé comme Père : c'est Lui,
son Fils, qui nous l'a manifesté et fait connaître en lui-même »
.
C'est là ce que j'écrivais au début de l'encyclique Dives in misericordia,
pour montrer que le Christ est la révélation et l'incarnation de la miséricorde
du Père. Le salut consiste à croire et à accueillir le mystère du Père et de son
amour, qui se manifeste et se donne en Jésus par l'Esprit. Ainsi s'accomplit le
Règne de Dieu, préparé dès l'Ancienne Alliance, mis en œuvre par le Christ et
dans le Christ, annoncé à toutes les nations par l’Église qui agit et prie pour
sa réalisation parfaite et définitive.
L'Ancien Testament
atteste que Dieu a choisi et constitué un peuple pour révéler et mettre en œuvre
son plan d'amour. Mais, en même temps, Dieu est créateur et père de tous les
hommes, il prend soin de tous, à tous il étend sa bénédiction (cf. Gn 12,
3) et avec tous il a conclu une alliance (cf. Gn 9, 1-17). Israël fait
l'expérience d'un Dieu personnel et sauveur (cf. Dt 4, 37 ; 7, 6-8 ;
Is 43, 1-7) dont il devient ainsi le témoin et le porte-parole au milieu des
nations. Au cours de son histoire, Israël prend conscience que son élection a
une portée universelle (cf., par ex., Is 2, 2-5 ; 25, 6-8 ; 60, 1-6 ;
Jr 3, 17 ; 16, 19).
13. Jésus de
Nazareth conduit à son terme le plan de Dieu. Après avoir reçu l'Esprit Saint au
baptême, il manifeste sa vocation messianique ; il parcourt la Galilée,
« proclamant l’Évangile de Dieu et disant : “Le temps est accompli et le Royaume
de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Évangile” » (Mc 1,
14-15 ; cf. Mt 4, 17 ; Lc 4, 43). La proclamation et
l'instauration du Royaume de Dieu sont l'objet de sa mission : « C'est pour cela
que j'ai été envoyé » (Lc 4, 43). Mais il y a plus : Jésus est lui-même
la Bonne Nouvelle, comme il le déclare dans la synagogue de son village, dès le
début de sa mission, en s'appliquant la parole d'Isaïe sur l'Oint, envoyé par
l'Esprit du Seigneur (cf. Lc 4, 14-21). Le Christ étant la Bonne
Nouvelle, il y a en lui identité entre le message et le messager, entre le dire,
l'agir et l'être. Sa force et le secret de l'efficacité de son action résident
dans sa totale identification avec le message qu'il annonce: il proclame la
Bonne Nouvelle non seulement par ce qu'il dit ou ce qu'il fait, mais par ce
qu'il est.
Le ministère de Jésus
est décrit dans le contexte de ses voyages dans son pays. L'horizon de sa
mission avant la Pâque se concentre sur Israël ; toutefois, il y a en Jésus un
élément nouveau d'importance primordiale. La réalité eschatologique n'est pas
renvoyée à une fin du monde éloignée, mais elle devient proche et commence à
advenir. Le Royaume de Dieu est tout proche (cf. Mc 1, 15), on prie pour
qu'il vienne (cf. Mt 6, 10), la foi le voit déjà à l'œuvre dans les
signes, tels les miracles (cf. Mt 11, 4-5), les exorcismes (cf. Mt
12, 25-28), le choix des Douze (cf. Mc 3, 13-19), l'annonce de la Bonne
Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4, 18). Dans les rencontres de Jésus avec
les païens, il apparaît clairement que l'accès au Royaume advient par la foi et
la conversion (cf. Mc 1, 15), et non du fait d'une simple appartenance
ethnique.
Le Règne que Jésus
inaugure est le Règne de Dieu. Jésus lui-même révèle qui est ce Dieu qu'il
désigne par le terme familier de « Abba », Père (Mc 14, 36). Dieu, révélé
surtout dans les paraboles (cf. Lc 15, 3-32 ; Mt 20, 1-16), est
sensible aux besoins et aux souffrances de tout homme : il est un Père plein
d'amour et de compassion qui pardonne et accorde gratuitement les grâces
demandées.
Saint Jean
nous dit que « Dieu est Amour » (1 Jn 4, 8. 16). Tout homme est donc
invité à « se convertir » et à « croire » à l'amour miséricordieux de Dieu pour
lui : le Royaume croîtra dans la mesure où tous les hommes apprendront à se
tourner vers Dieu comme vers un Père dans l'intimité de la prière (cf. Lc
11, 2 ; Mt 23, 9) et s'efforceront d'accomplir sa volonté (cf. Mt
7, 21).
14. Jésus révèle
progressivement les caractéristiques et les exigences du Royaume par ses
paroles, ses œuvres et sa personne.
Le Royaume de Dieu est
destiné à tous les hommes, car tous sont appelés à en être les membres. Pour
souligner cet aspect, Jésus s'est fait proche surtout de ceux qui étaient en
marge de la société, leur accordant sa préférence, lorsqu'il annonçait la Bonne
Nouvelle. Au début de son ministère, il proclame qu'il a été envoyé pour porter
la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4, 18). A tous les rejetés et à
tous les méprisés, il déclare : « Heureux, vous les pauvres » (Lc 6,
20) ; de plus, il amène ces marginaux à vivre déjà une expérience de
libération : il demeure avec eux, il va manger avec eux (cf. Lc 5, 30 ;
15, 2), il les traite comme des égaux et des amis (cf. Lc 7, 34), il leur
fait sentir qu'ils sont aimés de Dieu et révèle ainsi l'immense tendresse de
Dieu envers les plus démunis et les pécheurs (cf. Lc 15, 1-32).
La libération et le
salut qu'apporte le Royaume de Dieu atteignent la personne humaine dans ses
aspects physiques et spirituels. Deux gestes caractérisent la mission de Jésus :
guérir et pardonner. Ses nombreuses guérisons montrent sa grande compassion en
face de la misère humaine ; mais elles signifient aussi qu'il n'y aura plus,
dans le Royaume, ni maladies ni souffrances et que, dès le début, la mission
tend à libérer les personnes de leurs maux. Dans la perspective de Jésus, les
guérisons sont également signes du salut spirituel, c’est-à-dire de la
libération du péché. En accomplissant des gestes de guérison, Jésus invite à la
foi, à la conversion et au désir du pardon (cf. Lc 5, 24). Quand est reçu
le don de la foi, la guérison pousse à aller plus loin : elle introduit dans le
salut (cf. Lc 18, 42-43). Les gestes de libération de la possession du
démon, mal suprême et symbole du péché et de la rébellion contre Dieu, sont des
signes que « le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous » (Mt 12, 28).
15. Le Royaume
doit transformer les rapports entre les hommes et se réalise progressivement, au
fur et à mesure qu'ils apprennent à s'aimer, à se pardonner, à se mettre au
service les uns des autres. Jésus reprend toute la Loi, en la centrant sur le
commandement de l'amour (cf. Mt 22, 34-40 ; Lc 10, 25-28). Avant
de quitter les siens, Jésus leur donne un « commandement nouveau » :
« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34 ;
cf. 15, 12). L'amour dont Jésus a aimé le monde trouve son expression la plus
haute dans le don de sa vie pour les hommes (cf. Jn 15, 13) qui manifeste
l'amour que le Père a pour le monde (cf. Jn 3, 16). C'est pourquoi la
nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec
Dieu.
Le Royaume concerne les
personnes humaines, la société, le monde entier. Travailler pour le Royaume
signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans
l'histoire humaine et la transforme. Construire le Royaume signifie travailler
pour la libération du mal dans toutes ses formes. En un mot, le Royaume de Dieu
est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa
plénitude.
16. En
ressuscitant Jésus d'entre les morts, Dieu a vaincu la mort et, dans le Christ,
il a inauguré définitivement son Règne. Pendant sa vie terrestre, Jésus est le
prophète du Royaume et, après sa Passion, sa Résurrection et son Ascension au
ciel, il participe à la puissance de Dieu et à son pouvoir sur le monde (cf.
Mt 28, 18 ; Ac 2, 36 ; Ep 1, 18-21). La Résurrection confère
une portée universelle au message du Christ, à son action et à toute sa mission.
Les disciples se rendent compte que le Royaume est déjà présent dans la personne
de Jésus et qu'il est instauré peu à peu dans l'homme et dans le monde par un
lien mystérieux avec lui.
Après la Résurrection,
en effet, ils prêchaient le Royaume, annonçant que Jésus est mort et ressuscité.
Philippe, en Samarie « annonçait la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et du nom
dé Jésus Christ » (Ac 8, 12). A Rome, Paul « proclamait le Royaume de
Dieu et enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ » (cf. Ac 28,
31). Les premiers chrétiens annonçaient eux aussi, « le Royaume du Christ et de
Dieu » (Ep 5, 5 ; cf. Ap 11, 15 ; 12, 10), ou bien « le Royaume
éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ » (2 P 1, 11). C'est
sur l'annonce de Jésus Christ, avec qui s'identifie le Royaume, qu'est centrée
la prédication de l’Église primitive. Aujourd'hui, il faut de même unir
l'annonce du Royaume de Dieu (le contenu du « kérygme » de Jésus) et la
proclamation de l'événement Jésus Christ (c'est-à-dire le « kérygme » des
Apôtres). Les deux annonces se complètent et s'éclairent réciproquement.
17. On parle
beaucoup aujourd'hui du Royaume, mais pas toujours en accord avec la pensée de
l’Église. Il existe, en effet, des conceptions du salut et de la mission que
l'on peut appeler « anthropocentriques », au sens réducteur du terme, dans la
mesure où elles sont centrées sur les besoins terrestres de l'homme. Suivant
cette manière de voir, le Royaume tend à devenir une réalité exclusivement
humaine et sécularisée où ce qui compte, ce sont les programmes et les luttes
pour la libération sociale et économique, politique et aussi culturelle, mais
avec un horizon fermé à la transcendance. Sans nier qu'il y ait des valeurs à
promouvoir également à ce niveau, cette conception reste toutefois dans les
limites d'un royaume de l'homme privé de ses dimensions authentiques et
profondes, et elle se traduit facilement par l'une des idéologies de progrès
purement terrestre. Le Royaume de Dieu, au contraire, « n'est pas de ce
monde..., il n'est pas d'ici » (cf. Jn 18, 36).
Il y a d'autres
conceptions qui mettent délibérément l'accent sur le Royaume et se définissent
comme « régnocentriques » ; elles mettent en avant l'image d'une Église qui ne
pense pas à elle-même, mais se préoccupe seulement de témoigner du Royaume et de
le servir. C'est une « Église pour les autres », dit-on, comme le Christ est
« l'homme pour les autres ». On analyse la tâche de l’Église comme si elle
devait être accomplie dans deux directions : d'une part, promouvoir ce qu'on
nomme les « valeurs du Royaume », telles que la paix, la justice, la liberté, la
fraternité; d'autre part, favoriser le dialogue entre les peuples, les cultures,
les religions, afin que, grâce à un enrichissement mutuel, ils aident le monde à
se renouveler et à avancer toujours plus vers le Royaume.
A côté d'aspects
positifs, ces conceptions comportent souvent des aspects négatifs. D'abord,
elles gardent le silence sur le Christ : le Royaume dont elles parlent se fonde
sur un « théocentrisme », parce que—dit-on—le Christ ne peut pas être compris
par ceux qui n'ont pas la foi chrétienne, alors que les peuples, les cultures et
les diverses religions peuvent se rencontrer autour de l'unique réalité divine,
quel que soit son nom. Pour le même motif, elles privilégient le mystère de la
création qui se reflète dans la diversité des cultures et des convictions, mais
elles se taisent sur le mystère de la Rédemption. En outre, le Royaume tel
qu'elles l'entendent, finit par marginaliser ou sous-estimer l’Église, par
réaction à un « ecclésiocentrisme » supposé du passé et parce qu'elles ne
considèrent l’Église elle-même que comme un signe, d'ailleurs non dépourvu
d'ambiguïté.
18. Or il ne
s'agit pas là du Royaume de Dieu tel que nous le connaissons par la Révélation
et que l'on ne peut séparer ni du Christ ni de l’Église.
Comme il a été dit, non
seulement le Christ a annoncé le Royaume, mais c'est en lui que le Royaume
lui-même s'est rendu présent et s'est accompli, et pas seulement par ses paroles
et par ses actes : « Avant tout, le Royaume se manifeste dans la personne même
du Christ, Fils de Dieu et Fils de l'homme, venu “pour servir et donner sa vie
en rançon d'une multitude” (Mc 10, 45) »
.
Le Royaume de Dieu n'est pas un concept, une doctrine, un programme que l'on
puisse librement élaborer, mais il est avant tout une Personne qui a le
visage et le nom de Jésus de Nazareth, image du Dieu invisible
.
Si l'on détache le Royaume de Jésus, on ne prend plus en considération le
Royaume de Dieu qu'il a révélé, et l'on finit par altérer le sens du Royaume,
qui risque de se transformer en un objectif purement humain ou idéologique, et
altérer aussi l'identité du Christ, qui n'apparaît plus comme le Seigneur à qui
tout doit être soumis (cf. 1 Co 15, 27).
De même, on ne peut
disjoindre le Royaume et l’Église. Certes, l’Église n'est pas à elle-même sa
propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe
et instrument. Mais, alors qu'elle est distincte du Christ et du Royaume,
l’Église est unie indissolublement à l'un et à l'autre. Le Christ a doté
l’Église, son corps, de la plénitude des biens et des moyens de salut ; l'Esprit
Saint demeure en elle, la vivifie de ses dons et de ses charismes, il la
sanctifie, la guide et la renouvelle sans cesse
.
Il en résulte une relation singulière et unique qui, sans exclure l'action du
Christ et de l'Esprit Saint hors des limites visibles de l’Église, confère à
celle-ci un rôle spécifique et nécessaire. D'où aussi le lien spécial de
l’Église avec le Royaume de Dieu et du Christ qu'elle a « la mission d'annoncer
et d'instaurer dans toutes les nations »
.
19. C'est dans
cette perspective d'ensemble qu'il faut comprendre la réalité du Royaume.
Certes, il exige la promotion des biens humains et des valeurs que l'on peut
bien dire « évangéliques », parce qu'elles sont intimement liées à la Bonne
Nouvelle. Mais cette promotion, à laquelle l’Église tient, ne doit cependant pas
être séparée de ses autres devoirs fondamentaux, ni leur être opposée, devoirs
tels que l'annonce du Christ et de son Évangile, la fondation et le
développement de communautés qui réalisent entre les hommes l'image vivante du
Royaume. Que l'on ne craigne pas de tomber là dans une forme d’« ecclésiocentrisme » !
Paul VI, qui a affirmé l'existence d’« un lien profond entre le Christ, l’Église
et l'évangélisation »
,
a dit aussi : « L’Église n'est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire
avec ardeur être tout entière du Christ, dans le Christ et pour le Christ; tout
entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes »
.
20. L’Église est
au service du Royaume effectivement et concrètement. Elle l'est, avant tout, par
l'appel à la conversion : c'est le service premier et fondamental rendu à la
venue du Royaume dans les personnes et dans la société humaine. Le salut
eschatologique commence dès maintenant par la vie nouvelle dans le Christ : « A
tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à
ceux qui croient en son nom » (Jn 1, 12).
L’Église est au service
du Royaume quand elle fonde des communautés et quand elle institue des Églises
particulières qu'elle conduit à la maturité de la foi et de la charité, dans
l'ouverture aux autres, dans le service de la personne et de la société, dans la
compréhension et l'estime des institutions humaines.
L’Église est aussi au
service du Royaume quand elle répand dans le monde les « valeurs évangéliques »
qui sont l'expression du Royaume et aident les hommes à accueillir le plan de
Dieu. Il est donc vrai que la réalité commencée du Royaume peut se trouver
également au-delà des limites de l’Église, dans l'humanité entière, dans la
mesure où celle-ci vit les « valeurs évangéliques » et s'ouvre à l'action de
l'Esprit qui souffle où il veut et comme il veut (cf. Jn 3, 8) ; mais il
faut ajouter aussitôt que cette dimension temporelle du Royaume est incomplète
si elle ne s'articule pas avec le Règne du Christ, présent dans l’Église et
destiné à la plénitude eschatologique
.
Les multiples
perspectives du Royaume de Dieu
n'affaiblissent pas les fondements et les finalités de l'activité missionnaire,
elles les renforcent plutôt et les élargissent. L’Église est sacrement du salut
pour toute l'humanité et son action ne se limite pas à ceux qui acceptent son
message. Elle est force dynamique sur le chemin de l'humanité vers le Règne
eschatologique, elle est signe et promotrice des valeurs évangéliques parmi les
hommes
.
L’Église contribue à ce chemin de conversion au projet de Dieu par son
témoignage et par ses activités, comme le dialogue, la promotion humaine,
l'engagement pour la justice et la paix, l'éducation et le soin des malades,
l'assistance aux pauvres et aux petits, s'en tenant toujours fermement au primat
de la transcendance et de la spiritualité, prémices du salut eschatologique.
L’Église est enfin au
service du Royaume par son intercession, car le Royaume est de soi don et œuvre
de Dieu, comme le rappellent les paraboles évangéliques et la prière que Jésus
nous a enseignée. Nous devons le demander, l'accueillir, le faire grandir en
nous; mais nous devons aussi travailler pour qu'il soit accueilli par les hommes
et grandisse parmi eux, jusqu'au jour où le Christ « remettra la royauté à Dieu
le Père » et où « Dieu sera tout en tous » (cf. 1 Co 15, 24. 28).
21. « Au
sommet de la mission messianique de Jésus, l'Esprit Saint se rend présent au
sein du mystère pascal dans sa qualité de sujet divin : il est celui qui doit
maintenant continuer l'œuvre salvifique enracinée dans le sacrifice de la Croix.
Cette œuvre, bien sûr, est confiée par Jésus à des hommes : aux Apôtres, à
l’Église. Toutefois, en ces hommes et par eux, l'Esprit Saint demeure le sujet
transcendant de la réalisation de cette œuvre dans l'esprit de l'homme et dans
l'histoire du monde »
.
L'Esprit Saint, en effet, est le protagoniste de toute la mission ecclésiale:
son action ressort éminemment dans la mission ad gentes, comme on le voit
dans l’Église primitive avec la conversion de Corneille (cf. Ac 10), avec
les décisions sur les problèmes qui se font jour (cf. Ac 15), avec le
choix des territoires et des peuples (cf. Ac 16, 6-8). L'Esprit agit par
les Apôtres, mais il agit en même temps dans les auditeurs : « Par son action,
la Bonne Nouvelle pénètre dans les consciences et dans les cœurs humains et se
diffuse dans l'histoire. En tout cela, l'Esprit donne la vie »
.
22. Tous les
évangélistes, quand ils font le récit de la rencontre du Ressuscité avec les
Apôtres, concluent par l'envoi en mission : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel
et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples ... Et
voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt
28, 18-20 ; cf. Mc 16, 15-18 ; Lc 24, 46-49 ; Jn 20,
21-23).
Cet envoi est un
envoi dans l'Esprit, comme il apparaît clairement dans le texte de saint
Jean : le Christ envoie les siens dans le monde, comme le Père l'a envoyé, et,
pour cela, il leur donne l'Esprit. A son tour, Luc unit étroitement le
témoignage que les Apôtres devront rendre au Christ et l'action de l'Esprit qui
les rendra capables d'accomplir la mission reçue.
23. Les diverses
formes de l’« envoi en mission » comportent des points communs et chacune a des
traits caractéristiques ; mais deux éléments se retrouvent dans toutes les
versions. D'abord, la dimension universelle de la tâche confiée aux Apôtres :
« Toutes les nations » (Mt 28, 19) ; « dans le monde entier ..., à toute
la création » (Mc 16, 15) ; « toutes les nations » (Lc 24, 47) ;
« jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). En second lieu,
l'assurance donnée par le Seigneur qu'ils ne resteront pas seuls pour accomplir
cette tâche, mais qu'ils recevront la force et les moyens de remplir leur
mission. Ainsi se manifestent la présence et la puissance de l'Esprit, de même
que l'aide de Jésus : « Ils s'en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur
agissant avec eux » (Mc 16, 20).
En ce qui concerne les
différences d'accent dans le précepte, Marc présente la mission comme
proclamation ou kérygme : « Proclamez l’Évangile » (Mc 16, 15). Le
but de l'évangéliste est de conduire les lecteurs à redire la profession de foi
de Pierre : « Tu es le Christ » (Mc 8, 29) et à dire, comme le centurion
romain devant Jésus mort sur la Croix : « Vraiment cet homme était Fils de
Dieu » (Mc 15, 39). En Matthieu, l'accent missionnaire est mis sur la
fondation de l’Église et sur son enseignement (cf. Mt 28, 19-20 ; 16,
18): chez lui donc, cet envoi en mission fait ressortir que la proclamation de
l’Évangile doit être complétée par une catéchèse d'ordre ecclésial et
sacramentel. En Luc, la mission est présentée comme un témoignage (cf. Lc
24, 48 ; Ac 1, 8) qui porte surtout sur la Résurrection (cf. Ac 1,
22). Le missionnaire est invité à croire à la puissance transformante de
l’Évangile et à annoncer ce que Luc montre bien, c'est-à-dire la conversion à
l'amour et à la miséricorde de Dieu, l'expérience d'une libération intégrale de
tout mal jusqu'à sa racine, le péché.
Jean est le seul à
parler explicitement d'envoi — terme qui équivaut à « mission » — et il relie
directement la mission que Jésus confie à ses disciples à celle qu'il a reçue du
Père : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,
21). Jésus, se tournant vers son Père, dit : « Comme tu m'as envoyé dans le
monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17, 18). Toute la
portée missionnaire de l’Évangile de Jean se trouve exprimée dans la « prière
sacerdotale » : « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul
véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). Le
but dernier de la mission est de faire participer à la communion qui existe
entre le Père et le Fils: les disciples doivent vivre entre eux l'unité,
demeurant dans le Père et le Fils, afin que le monde reconnaisse et croie (cf.
Jn 17, 21-23). C'est là un texte missionnaire significatif ! Il fait
comprendre qu'on est missionnaire avant tout par ce que l'on est, en tant
que membre de l’Église qui vit profondément l'unité dans l'amour, avant de
l'être par ce que l'on dit ou par ce que l'on fait.
Ainsi les quatre
Évangiles attestent un pluralisme dans l'unité fondamentale de la même mission
qui reflète des expériences et des situations différentes dans les premières
communautés chrétiennes ; c'est le fruit du dynamisme communiqué par l'Esprit
lui-même; cela invite à être attentif aux divers charismes missionnaires, ainsi
qu'aux diverses conditions humaines et aux différents milieux. Tous les
évangélistes soulignent cependant que la mission des disciples est une
coopération à celle du Christ : « Voici que je suis avec vous pour toujours
jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). C'est pourquoi la mission ne
s'appuie pas sur les capacités humaines, mais sur la puissance du Ressuscité.
24. La mission de
l’Église, comme celle de Jésus, est l'œuvre de Dieu ou — comme le dit
fréquemment Luc — l'œuvre de l'Esprit. Après la résurrection et l'ascension de
Jésus, les Apôtres vivent une expérience forte qui les transforme : la
Pentecôte. La venue de l'Esprit Saint fait d'eux des témoins et des
prophètes (cf. Ac 1, 8 ; 2, 17-18), les pénétrant d'une tranquille
audace qui les pousse à transmettre aux autres leur expérience de Jésus et
l'espérance qui les anime. L'Esprit leur donne la capacité de témoigner de Jésus
avec « assurance »
.
Quand les
évangélisateurs sortent de Jérusalem, l'Esprit assume plus encore le rôle de
« guide » pour le choix des personnes ou des voies de la mission. Son action
parait spécialement dans l'impulsion donnée à la mission qui, effectivement,
s'étend de Jérusalem à toute la Judée et à la Samarie, et jusqu'aux extrémités
de la terre, suivant la parole de Jésus.
Les Actes
rapportent la synthèse de six « discours missionnaires » adressés aux Juifs aux
commencements de l’Église (cf. Ac 2, 22-39 ; 3, 12-26 ; 4, 9-12 ; 5,
29-32 ; 10, 34-43 ; 13, 16-41). Ces discours-modèles, prononcés par Pierre et
par Paul, annoncent Jésus, invitent à « se convertir », c'est-à-dire à
accueillir Jésus dans la foi et à se laisser transformer en lui par l'Esprit.
Paul et Barnabé sont
poussés par l'Esprit vers les païens (cf. Ac 13, 46-48), ce qui ne se
produit pas sans tensions et sans difficultés. Comment les païens convertis
doivent-ils vivre leur foi en Jésus ? Sont-ils tenus par la tradition du
judaïsme et par la loi de la circoncision ? Au premier Concile, qui réunit à
Jérusalem autour des Apôtres les membres de diverses Églises, une décision est
prise, reconnue comme inspirée par l'Esprit : il n'est pas nécessaire qu'un
païen se soumette à la loi juive pour devenir chrétien (cf. Ac 15, 5-11.
28). A partir de ce moment, l’Église ouvre ses portes et devient la maison dans
laquelle tous peuvent entrer et se sentir à leur aise, en conservant leur
culture et leurs traditions, pourvu qu'elles ne soient pas en opposition avec
l’Évangile.
25. Les
missionnaires ont agi dans le même sens, en tenant compte des attentes et des
espérances des gens, de leurs angoisses et de leurs souffrances, de leur
culture, pour leur annoncer le salut dans le Christ. Les discours de Lystres et
d'Athènes (cf. Ac 14, 15-17 ; 17, 22-31) sont reconnus comme des modèles
pour l'évangélisation des païens : Paul y entre en « dialogue » avec les valeurs
culturelles et religieuses des différents peuples. Aux habitants de la Lycaonie,
qui pratiquaient une religion cosmique, il rappelle des expériences religieuses
en rapport avec le cosmos ; avec les Grecs, il discute de philosophie et cite
leurs poètes (cf. Ac 17, 18. 26-28). Le Dieu qu'il veut leur révéler est
déjà présent dans leur vie : c'est lui, en effet, qui les a créés et qui dirige
mystérieusement les peuples et l'histoire ; cependant, pour reconnaître le vrai
Dieu, il faut qu'ils renoncent aux faux dieux qu'ils ont eux-mêmes fabriqués et
qu'ils s'ouvrent à celui que Dieu a envoyé pour remédier à leur ignorance et
pour satisfaire l'attente de leur cœur. Ce sont là des discours qui présentent
des exemples d'inculturation de l’Évangile.
Sous l'impulsion de
l'Esprit, la foi chrétienne s'ouvre délibérément aux « nations » et le
témoignage du Christ s'étend aux centres les plus importants de la Méditerranée
orientale pour arriver jusqu'à Rome et aux confins de l'Occident. C'est l'Esprit
qui pousse à aller toujours au-delà, non seulement du point de vue géographique
mais aussi au-delà des barrières ethniques et religieuses, sous l'impulsion de
l'Esprit, la foi chrétienne s'ouvre délibérément aux « nations » et le
témoignage du Christ s'étend aux centres les plus importants de la Méditerranée
orientale pour arriver jusqu'à Rome et aux confins de l'Occident. C'est l'Esprit
qui pousse à aller toujours au-delà, non seulement du point de vue géographique
mais aussi au-delà des barrières ethniques et religieuses, pour accomplir une
mission réellement universelle.
26. L'Esprit
incite le groupe des croyants à se constituer en « communauté », en Église.
Après la première annonce de Pierre, le jour de la Pentecôte, et les conversions
qui ont suivi, la première communauté se forme (cf. Ac 2, 42-47 ; 4,
32-35).
L'un des objectifs
centraux de la mission, en effet, est de réunir le peuple pour écouter
l’Évangile, pour la communion fraternelle, pour la prière et l'Eucharistie.
Vivre la « communion fraternelle » (koinonia), cela signifie n'avoir
« qu'un cœur et qu'une âme » (Ac 4, 32), en instaurant la communion à
tous les points de vue : humain, spirituel et matériel. De fait, la vraie
communauté chrétienne s'engage à distribuer les biens terrestres pour qu'il n'y
ait pas d'indigents et pour que tous puissent avoir accès à ces biens « selon
les besoins de chacun » (Ac 2, 45 ; 4, 35). Les premières communautés, où
régnaient « l'allégresse et la simplicité de cœur » (Ac 2, 46), étaient
dynamiques, ouvertes et missionnaires : elles « avaient la faveur de tout le
peuple » (Ac 2, 47). Avant même d'être une action, la mission est un
témoignage et un rayonnement
.
27. Les Actes
montrent que la mission, qui s'adresse d'abord à Israël puis aux nations, se
développe à différents niveaux. C'est d'abord le groupe des Douze qui, comme un
seul corps conduit par Pierre, proclame la Bonne Nouvelle. Puis, c'est la
communauté des croyants qui, par sa manière de vivre et d'agir, porte témoignage
au Seigneur et convertit les païens (cf. Ac 2, 46-47). Il y a encore les
envoyés spéciaux qui annoncent l’Évangile. Ainsi, la communauté chrétienne
d'Antioche envoie ses membres en mission : après avoir jeûné, prié et célébré
l'Eucharistie ; elle se rend compte que l'Esprit a choisi Paul et Barnabé pour
être envoyés en mission (cf. Ac 13, 1-4). A ses origines, la mission est
donc considérée comme un devoir communautaire et une responsabilité de l’Église
locale qui a besoin précisément de « missionnaires » pour avancer vers de
nouvelles frontières. A côté de ces envoyés, il y en avait d'autres qui
témoignaient spontanément de la nouveauté qui avait transformé leur vie ; ils
reliaient alors les communautés en voie de constitution à l’Église apostolique.
La lecture des Actes
nous fait comprendre que, au commencement de l’Église, la mission ad gentes,
tout en disposant de missionnaires « à vie » qui s'y consacraient en vertu d'une
vocation particulière, était en réalité considérée comme le fruit normal de la
vie chrétienne, l'engagement de tout croyant par le témoignage personnel et par
l'annonce explicite lorsqu'elle était possible.
28. L'Esprit se
manifeste d'une manière particulière dans l’Église et dans ses membres ;
cependant sa présence et son action sont universelles, sans limites d'espace ou
de temps
.
Le Concile Vatican II rappelle l'œuvre de l'Esprit dans le cœur de tout homme,
par les « semences du Verbe », dans les actions même religieuses, dans les
efforts de l'activité humaine qui tendent vers la vérité, vers le bien, vers
Dieu
.
L'Esprit offre à l'homme
« lumière et forces pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation » ;
par l'Esprit, « l'homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le
mystère de la volonté divine » ; et « nous devons tenir que l'Esprit Saint offre
à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associés au Mystère
pascal »
.
Dans tous les cas, l’Église sait que « l'homme, sans cesse sollicité par
l'Esprit de Dieu, ne sera jamais tout à fait indifférent au problème religieux »
et qu'il « voudra toujours connaître, ne serait-ce que confusément, la
signification de sa vie, de ses activités et de sa mort »
.
L'Esprit est donc à l'origine même de l'interrogation existentielle et
religieuse de l'homme qui ne naît pas seulement de conditions contingentes mais
aussi de la structure même de son être
.
La présence et
l'activité de l'Esprit ne concernent pas seulement les individus, mais la
société et l'histoire, les peuples, les cultures, les religions. En effet,
l'Esprit se trouve à l'origine des idéaux nobles et des initiatives bonnes de
l'humanité en marche : « Par une providence admirable, il] conduit le cours des
temps et rénove la face de la terre »
.
Le Christ ressuscité « agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance
de son Esprit ; il n'y suscite pas seulement le désir du siècle à venir, mais,
par là même, anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui
poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à
cette fin la terre entière »
.
C'est encore l'Esprit qui répand les « semences du Verbe », présentes dans les
rites et les cultures, et les prépare à leur maturation dans le Christ
.
29. Ainsi
l'Esprit, qui « souffle où il veut » (Jn 3, 8) et qui « était déjà à
l'œuvre avant la glorification du Christ »
,
lui qui « remplit le monde et qui, tenant unies toutes choses, a connaissance de
chaque mot » (Sg 1, 7), nous invite à élargir notre regard pour
contempler son action présente en tout temps et en tout lieu
.
Moi-même, j'ai souvent renouvelé cette invitation et cela m'a guidé dans mes
rencontres avec les peuples les plus divers. Les rapports de l’Église avec les
autres religions sont inspirés par un double respect : « Respect pour l'homme
dans sa quête de réponses aux questions les plus profondes de sa vie, et respect
pour l'action de l'Esprit dans l'homme »
.
La rencontre inter-religieuse d'Assise, si l'on écarte toute interprétation
équivoque, a été l'occasion de redire ma conviction que « toute prière
authentique est suscitée par l'Esprit Saint, qui est mystérieusement présent
dans le cœur de tout homme »
.
Ce même Esprit a agi
dans l'Incarnation, dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, et il agit
dans l’Église. Il ne se substitue donc pas au Christ, et il ne remplit pas une
sorte de vide, comme, suivant une hypothèse parfois avancée, il en existerait
entre le Christ et le Logos. Ce que l'Esprit fait dans le cœur des hommes et
dans l'histoire des peuples, dans les cultures et les religions, remplit une
fonction de préparation évangélique
et cela ne peut pas être sans relation au Christ, le Verbe fait chair par
l'action de l'Esprit, « afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et
récapitule toutes choses en lui »
.
L'action universelle de
l'Esprit n'est pas à séparer de l'action particulière qu'il mène dans le corps
du Christ qu'est l’Église. En effet, c'est toujours l'Esprit qui agit quand il
vivifie l’Église et la pousse à annoncer le Christ, ou quand il répand et fait
croître ses dons en tous les hommes et en tous les peuples, amenant l’Église à
les découvrir, à les promouvoir et à les recevoir par le dialogue. Il faut
accueillir toutes les formes de la présence de l'Esprit avec respect et
reconnaissance, mais le discernement revient à l’Église à laquelle le Christ a
donné son Esprit pour la mener vers la vérité tout entière (cf. Jn 16,
13).
30. Notre époque,
alors que l'humanité est en mouvement et en recherche, exige une impulsion
nouvelle dans l'action missionnaire de l’Église. Les horizons et les
possibilités de la mission s'étendent et, nous les chrétiens, nous sommes
appelés au courage apostolique, fondé sur la confiance dans l'Esprit. C'est
lui le protagoniste de la mission !
Dans l'histoire de
l'humanité, de nombreux tournants marquants ont stimulé le dynamisme
missionnaire, et l’Église, guidée par l'Esprit, y a toujours répondu avec
générosité et prévoyance. Et les fruits n'ont pas manqué. On a célébré récemment
le millénaire de l'évangélisation de la Rus' et des peuples slaves tandis qu'on
s'achemine vers la célébration du cinq centième anniversaire de l'évangélisation
des Amériques. On a aussi célébré récemment le centenaire des premières missions
de plusieurs pays d'Asie, d'Afrique et d'Océanie. L’Église doit affronter
aujourd'hui de autres défis, en avançant vers de nouvelles frontières tant pour
la première mission ad gentes que pour la nouvelle évangélisation de
peuples qui ont déjà reçu l'annonce du Christ. Il est aujourd'hui demandé à tous
les chrétiens, aux Églises particulières et à l’Église universelle le même
courage que celui qui animait les missionnaires du passé, la même disponibilité
à écouter la voix de l'Esprit.
31. Le Seigneur
Jésus a envoyé ses Apôtres à toutes les personnes, à tous les peuples et en tous
lieux de la terre. Dans la personne des Apôtres, l’Église a reçu une mission
universelle, qui ne connaît pas de limites et concerne le salut dans toute sa
richesse selon la plénitude de vie que le Christ est venu nous apporter (cf.
Jn 10, 10) : elle a été « envoyée pour révéler et communiquer l'amour de
Dieu à tous les hommes et à tous les peuples de la terre »
.
Cette mission est
unique, car elle a une seule origine et une seule finalité, mais elle comporte
des tâches et des activités diverses. Tout d'abord, il y a l'activité
missionnaire que nous appelons la mission ad gentes, par allusion au
décret conciliaire ; il s'agit d'une activité primordiale de l’Église, une
activité essentielle et jamais achevée. En effet, l’Église « ne peut esquiver
la mission permanente qui est celle de porter l’Évangile à tous ceux — et
ils sont des millions et des millions d'hommes et de femmes — qui ne connaissent
pas encore le Christ rédempteur de l'homme. C'est la tâche la plus
spécifiquement missionnaire que Jésus ait confiée et confie de nouveau chaque
jour à son Église »
.
32. Nous nous
trouvons aujourd'hui devant des situations religieuses très diverses et
changeantes: les peuples bougent, les réalités sociales et religieuses, jadis
claires et bien définies, évoluent actuellement et deviennent complexes. Il
suffit d'évoquer ici certains phénomènes tels que l'urbanisation, les migrations
massives, les mouvements de réfugiés, la déchristianisation de pays anciennement
chrétiens, l'influence croissante de l’Évangile et de ses valeurs dans des pays
dont les habitants, en très grande majorité, ne sont pas chrétiens, sans oublier
le foisonnement des messianismes et des sectes religieuses. Il y a un
bouleversement des situations religieuses et sociales qui rend difficile
l'application effective de certaines distinctions et catégories ecclésiales
jusque-là communément utilisées. Avant même le Concile, on disait de certaines
grandes villes ou de terres chrétiennes qu'elles étaient devenues des « pays de
mission » et la situation ne s'est certainement pas améliorée dans les années
qui ont suivi.
D'autre part, l'activité
missionnaire a produit des fruits en abondance dans toutes les parties du monde
de telle sorte qu'il y existe des Églises bien implantées, parfois avec tant de
solidité et de maturité qu'elles peuvent à la fois pourvoir aux besoins de leurs
propres communautés et envoyer des évangélisateurs dans d'autres Églises et
d'autres territoires. De là vient le contraste avec les régions de chrétienté
ancienne qu'il est nécessaire de réévangéliser. Certains se demandent donc si
l'on peut encore parler d'activité missionnaire spécifique ou de
terrains délimités pour cette activité, ou bien si l'on ne doit pas admettre
qu'il existe une situation missionnaire unique, face à laquelle il y a
une unique mission, partout identique. Il est difficile d'interpréter cette
réalité complexe et changeante par rapport au précepte de l'évangélisation,
comme on le voit déjà dans le « vocabulaire missionnaire » : par exemple, il y a
une certaine hésitation à utiliser les mots de « missions » et de
« missionnaires » que l'on considère comme dépassés et chargés de résonances
historiques négatives ; on préfère se servir du substantif « mission » au
singulier et de l'adjectif « missionnaire » pour qualifier toute activité de
l’Église.
Cet embarras est le
signe d'un changement réel qui présente des aspects positifs. Ce qu'on appelle
le retour ou le « rapatriement » des missions dans la mission de
l’Église, l'introduction de la missiologie dans l'ecclésiologie et
l'insertion de l'une et de l'autre dans le dessein trinitaire du salut, tout
cela a donné un souffle nouveau à cette activité missionnaire, qui n'est plus
conçue comme une tâche marginale de l’Église mais intégrée dans le cœur de sa
vie comme un engagement fondamental de tout le Peuple de Dieu. Il faut néanmoins
éviter de courir le risque de ramener au même niveau des situations très
diverses et de réduire, voire de faire disparaître, la mission et les
missionnaires ad gentes. Dire que toute l’Église est missionnaire
n'exclut pas l'existence d'une mission spécifique ad gentes ; de même,
dire que tous les catholiques doivent être missionnaires n'exclut pas mais, au
contraire, demande qu'il y ait des « missionnaires ad gentes et à vie »
par une vocation spécifique.
33. A l'intérieur
de l'unique mission de l’Église, les différences dans les activités ne
naissent pas de raisons intrinsèques à la mission elle-même mais des
circonstances diverses dans lesquelles elle s'exerce
.
En considérant le monde d'aujourd'hui du point de vue de l'évangélisation, nous
pouvons distinguer trois situations.
Tout d'abord, celle à
laquelle s'adresse l'activité missionnaire de l’Église : des peuples, des
groupes humains, des contextes socioculturels dans lesquels le Christ et son
Évangile ne sont pas connus, ou dans lesquels il n'y a pas de communautés
chrétiennes assez mûres pour pouvoir incarner la foi dans leur milieu et
l'annoncer à d'autres groupes. Telle est, à proprement parler, la mission ad
gentes
.
Il y a ensuite des
communautés chrétiennes aux structures ecclésiales fortes et adaptées, à la foi
et à la vie ferventes, qui rendent témoignage à l’Évangile de manière rayonnante
dans leur milieu et qui prennent conscience du devoir de la mission universelle.
En elles s'exerce l'activité pastorale de l’Église.
Il existe enfin une
situation intermédiaire, surtout dans les pays de vieille tradition chrétienne
mais parfois aussi dans les Églises plus jeunes, où des groupes entiers de
baptisés ont perdu le sens de la foi vivante ou vont jusqu'à ne plus se
reconnaître comme membres de l’Église, en menant une existence éloignée du
Christ et de son Évangile. Dans ce cas, il faut une « nouvelle évangélisation »
ou une « réévangélisation ».
34. L'activité
missionnaire spécifique, ou mission ad gentes, s'adresse « aux peuples et
aux groupes humains qui ne croient pas encore au Christ», à a ceux qui sont loin
du Christ », chez qui l’Église « n'a pas encore été enracinée »
et dont la culture n'a pas encore été imprégnée de l’Évangile
.
Elle se distingue des autres activités de l’Église par le fait qu'elle s'adresse
à des groupes et à des milieux non chrétiens parce que l'annonce de l’Évangile
et la présence de l’Église y ont fait défaut ou ont été insuffisantes. Elle a
donc pour caractère propre d'être une action d'annonce du Christ et de son
Évangile, d'édification de l’Église locale et de promotion des valeurs du
Royaume. La particularité de cette mission ad gentes vient de ce qu'elle
s'adresse à des non-chrétiens. Il faut, par conséquent, éviter que cette « tâche
plus spécifiquement missionnaire que Jésus a confiée et de nouveau confie chaque
jour à son Église »
ne se dissolve dans la mission d'ensemble du peuple de Dieu tout entier et ne
soit, de ce fait, négligée ou bien oubliée.
Par ailleurs, les
frontières de la charge pastorale des fidèles, de la nouvelle
évangélisation et de l'activité missionnaire spécifique ne sont pas
nettement définissables et on ne saurait créer entre elles des barrières ou une
compartimentation rigide. Il faut, néanmoins, rester tendu vers l'annonce de
l’Évangile et la fondation de nouvelles Églises dans les peuples et les groupes
humains où il n'y en a pas encore, car telle est la tâche première de l’Église,
envoyée à tous les peuples, jusqu'aux extrémités de la terre. Sans la mission
ad gentes, cette dimension missionnaire de l’Église serait privée de sa
signification fondamentale et de sa réalisation exemplaire.
De même, il est à noter
qu'il existe une interdépendance réelle et croissante entre les
différentes activités salvifiques de l’Église : chacune exerce une influence sur
l'autre, la stimule et lui vient en aide. Le dynamisme missionnaire suscite des
échanges entre les Églises et les oriente vers le monde extérieur, avec des
influences positives en tous sens. Les Églises de vieille tradition chrétienne,
par exemple, aux prises avec la lourde tâche de la nouvelle évangélisation,
comprennent mieux qu'elles ne peuvent être missionnaires à l'égard des
non-chrétiens d'autres pays ou d'autres continents si elles ne se préoccupent
pas sérieusement des non-chrétiens de leurs pays : l'esprit missionnaire ad
intra est un signe très sûr et un stimulant pour l'esprit missionnaire ad
extra, et réciproquement.
35. La mission
ad gentes a devant elle une tâche immense qui n'est certes pas près
d'arriver à son terme. Au contraire, tant du point de vue numérique, avec
l'accroissement démographique, que du point de vue socioculturel, avec
l'apparition de nouveaux types de relations et de nouveaux contacts comme avec
les changements de situations, elle semble destinée à avoir des horizons encore
plus étendus. La tâche d'annoncer Jésus Christ à tous les peuples s'avère
immense et disproportionnée, compte tenu des forces humaines de l’Église.
Les difficultés
semblent insurmontables et pourraient décourager s'il s'agissait d'une œuvre
purement humaine. Certains pays interdisent aux missionnaires d'entrer chez eux,
d'autres interdisent non seulement l'évangélisation mais aussi les conversions
et même le culte chrétien. Ailleurs, les obstacles sont d'ordre culturel : la
transmission du message évangélique paraît dépourvue d'intérêt ou
incompréhensible ; la conversion est perçue comme un abandon de son peuple et de
sa culture.
36. Les
difficultés internes ne manquent pas pour le peuple de Dieu; ce sont même
les plus douloureuses. Mon prédécesseur Paul VI faisait déjà remarquer en
premier lieu « le manque de ferveur, d'autant plus grave qu'il vient du dedans;
il se manifeste dans la fatigue et le désenchantement, la routine et le
désintérêt, et surtout le manque de joie et d'espérance »
.
Les divisions du passé et du présent entre les chrétiens sont aussi de grands
obstacles à l'esprit missionnaire de l’Église
,
la déchristianisation dans certains pays chrétiens, la diminution des vocations
à l'apostolat, les contre-témoignages de fidèles et de communautés chrétiennes
qui ne suivent pas le modèle du Christ dans leur vie. Mais l'un des motifs les
plus graves du manque d'intérêt pour l'engagement missionnaire est une mentalité
marquée par l'indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les
chrétiens, souvent fondée sur des conceptions théologiques inexactes et
imprégnée d'un relativisme religieux qui porte à considérer que « toutes les
religions se valent ». Nous pouvons ajouter — ainsi que le disait le même
Pontife — qu'il existe aussi « des alibis qui peuvent nous détourner de
l'évangélisation. Les plus insidieux sont certainement ceux pour lesquels on
prétend trouver appui dans tel ou tel enseignement du Concile »
.
A ce sujet, je
recommande vivement aux théologiens et aux professionnels de la presse
chrétienne de coopérer toujours davantage à la mission, afin de bien saisir le
sens profond de leur tâche importante, en suivant la voie droite du sentire
cum Ecclesia.
Les difficultés internes
et externes ne doivent pas nous rendre pessimistes ou inactifs. Ce qui compte —
ici comme en tout domaine de la vie chrétienne —, c'est la confiance qui vient
de la foi, c'est-à-dire de la certitude que nous ne sommes pas nous-mêmes les
protagonistes de la mission mais que c'est Jésus Christ et son Esprit. Nous ne
sommes que des collaborateurs et, quand nous avons fait tout ce qui était en
notre pouvoir, nous devons dire : « Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous
avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10).
37. La mission
ad gentes n'a pas de limites, en raison du précepte universel du Christ. On
peut néanmoins distinguer différents domaines dans lesquels elle s'accomplit, de
manière à tracer le tableau réel de la situation.
L'activité missionnaire
a généralement été définie par rapport à des territoires précis. Le Concile
Vatican II a reconnu la dimension territoriale de la mission ad gentes
,
importante aujourd'hui encore pour déterminer les responsabilités, les
compétences et les limites géographiques de l'action. Il est vrai qu'à une
mission universelle doit correspondre une perspective universelle: l’Église, en
effet, ne peut accepter que des délimitations territoriales et des empêchements
politiques fassent obstacle à sa présence missionnaire. Mais il est vrai,
également, que l'activité missionnaire ad gentes, différente de la charge
pastorale des fidèles et de la nouvelle évangélisation des non-pratiquants,
s'exerce dans des territoires et pour des groupes humains bien déterminés.
La multiplication des
jeunes Églises à une époque récente ne doit pas faire illusion. Dans les
territoires confiés à ces Églises, surtout en Asie, mais aussi en Afrique, en
Amérique latine et en Océanie, il existe de vastes régions qui n'ont pas été
évangélisées: des peuples entiers et des espaces culturels de grande importance
dans bon nombre de nations, n'ont pas encore été rejoints par l'annonce de
l’Évangile et par la présence d'une Église locale
.
Même dans des pays de tradition chrétienne, il existe des régions placées sous
le régime spécifique de la mission ad gentes, des groupes humains et des
contrées qui n'ont pas été touchés par l’Évangile. Dans ces pays aussi, ce n'est
donc pas seulement une nouvelle évangélisation qui s'impose, mais, en certains
cas, une première évangélisation
.
Cependant, les
situations ne sont pas homogènes. Tout en reconnaissant que les affirmations qui
portent sur les responsabilités missionnaires de l’Église ne sont pas recevables
si elles ne sont authentifiées par un sérieux engagement pour la nouvelle
évangélisation dans les pays de vieille tradition chrétienne, il ne paraît pas
juste de mettre sur le même plan la situation d'un peuple qui n'a jamais connu
Jésus Christ et celle d'un autre qui l'a connu, accepté puis refusé, tout en
continuant à vivre dans une culture qui a assimilé en grande partie les
principes et les valeurs évangéliques. En ce qui concerne la foi, ce sont deux
situations substantiellement différentes.
Ainsi, le critère
géographique, même s'il n'est pas très précis et s'il est toujours provisoire,
sert encore à préciser les frontières vers lesquelles doit se porter l'activité
missionnaire. Il existe des pays et des aires géographiques et culturelles sans
communauté chrétienne autochtone; ailleurs, ces communautés sont si petites
qu'elles ne constituent pas un signe clair de présence chrétienne; il peut se
faire aussi qu'elles manquent de dynamisme pour évangéliser leur société ou
qu'elles appartiennent à des populations minoritaires qui ne sont pas intégrées
dans la culture nationale dominante. Sur le continent asiatique en particulier,
vers lequel devrait se diriger en priorité la mission ad gentes, les
chrétiens sont en petite minorité, même si parfois on y constate des mouvements
de conversion significatifs et de remarquables modes de présence chrétienne.
Les transformations
rapides et profondes qui caractérisent le monde d'aujourd'hui, notamment le Sud,
exercent une forte influence sur le cadre de la mission: là où, auparavant, il y
avait des situations humaines et sociales stables, tout se trouve aujourd'hui en
mouvement. Que l'on pense, par exemple, à l'urbanisation et à la croissance
massive des villes, surtout si la pression démographique est plus forte. D'ores
et déjà, dans un bon nombre de pays, plus de la moitié de la population vit dans
des mégapoles où les problèmes humains sont souvent aggravés par l'anonymat dans
lequel se sentent plongées les multitudes.
Au cours des temps
modernes, l'activité missionnaire s'est surtout déroulée dans des régions
isolées, éloignées des centres civilisés et inaccessibles par suite des
difficultés de communication, de langue, de climat. Aujourd'hui, l'image de la
mission ad gentes est peut-être en train de changer : ses lieux
privilégiés devraient être les grandes cités où apparaissent des mœurs nouvelles
et de nouveaux modèles de vie, de nouvelles formes de culture et de
communication qui, ensuite, influent sur l'ensemble de la population. Il est
vrai que le « choix des plus petits » doit conduire à ne pas ignorer les groupes
humains les plus marginaux ou les plus isolés, mais il n'en est pas moins vrai
que l'on ne peut évangéliser les personnes ou les petits groupes en négligeant
les centres où naît, pour ainsi dire, une humanité nouvelle avec de nouveaux
modèles de développement. L'avenir des jeunes nations est en train de se forger
dans les villes.
En parlant de l'avenir,
on ne peut oublier les jeunes qui, dans de nombreux pays, constituent déjà plus
de la moitié de la population. Comment faire parvenir le message du Christ aux
jeunes non chrétiens qui sont l'avenir de continents entiers ? A l'évidence, les
moyens ordinaires de la pastorale ne suffisent plus : il faut des associations
et des institutions, des groupes et des centres de jeunes, des initiatives
culturelles et sociales pour les jeunes. Voilà un domaine où les Mouvements
ecclésiaux modernes trouvent un ample champ d'action.
Parmi les grandes
mutations du monde contemporain, les migrations ont produit un phénomène
nouveau : les non-chrétiens arrivent en grand nombre dans les pays de vieille
tradition chrétienne, créant des occasions nouvelles de contacts et d'échanges
culturels, invitant l’Église à l'accueil, au dialogue, à l'assistance, en un
mot, à la fraternité. Parmi les migrants, les réfugiés occupent une place tout à
fait particulière et méritent la plus grande attention. Ils sont maintenant des
millions et des millions dans le monde et ne cessent d'augmenter : ils ont fui
des situations d'oppression politique et de misère inhumaine, de famine et de
sécheresse qui ont pris des proportions catastrophiques. L’Église doit les
indure dans le champ de sa sollicitude apostolique.
Enfin, on peut rappeler
les situations de pauvreté, souvent intolérable, qui se créent dans de nombreux
pays et sont fréquemment à l'origine de migrations massives. Ces situations
inhumaines constituent un défi pour la communauté de ceux qui croient au Christ:
l'annonce du Christ et du Règne de Dieu doit devenir un moyen de rachat humain
pour ces populations.
Paul, après avoir prêche
dans de nombreux endroits, parvient à Athènes et se rend à l'Aréopage où il
annonce l’Évangile en utilisant un langage adapté et compréhensible dans ce
milieu (cf. Ac 17, 22-31). L'Aréopage représentait alors le centre de la
culture des Athéniens instruits et il peut aujourd'hui être pris comme symbole
des nouveaux milieux où l'on doit proclamer l’Évangile.
Le premier aréopage des
temps modernes est le monde de la communication, qui donne une unité à
l'humanité en faisant d'elle, comme on dit, « un grand village ». Les médias ont
pris une telle importance qu'ils sont, pour beaucoup de gens, le moyen principal
d'information et de formation ; ils guident et inspirent les comportements
individuels, familiaux et sociaux. Ce sont surtout les nouvelles générations qui
grandissent dans un monde conditionné par les médias. On a peut-être un peu
négligé cet aréopage. On privilégie généralement d'autres moyens d'annonce
évangélique et de formation, tandis que les médias sont laissés à l'initiative
des particuliers ou de petits groupes et n'entrent dans la programmation
pastorale que de manière secondaire. L'engagement dans les médias, toutefois,
n'a pas pour seul but de démultiplier l'annonce. Il s'agit d'une réalité plus
profonde car l'évangélisation même de la culture moderne dépend en grande partie
de leur influence. Il ne suffit donc pas de les utiliser pour assurer la
diffusion du message chrétien et de l'enseignement de l’Église, mais il faut
intégrer le message dans cette « nouvelle culture » créée par les moyens de
communication modernes. C'est un problème complexe car, sans même parler de son
contenu, cette culture vient précisément de ce qu'il existe de nouveaux modes de
communiquer avec de nouveaux langages, de nouvelles techniques, de nouveaux
comportements. Mon prédécesseur Paul VI disait que « la rupture entre Évangile
et culture est sans doute le drame de notre époque »
;
le domaine de la communication actuelle vient pleinement confirmer ce jugement.
Il existe, dans le monde
moderne, beaucoup d'autres aréopages vers lesquels il faut orienter l'activité
missionnaire de l’Église. Par exemple, l'engagement pour la paix, le
développement et la libération des peuples, les droits de l'homme et des
peuples, surtout ceux des minorités, la promotion de la femme et de l'enfant, la
sauvegarde de la création, autant de domaines à éclairer par la lumière de
l’Évangile.
En outre, il faut
rappeler le très vaste aréopage de la culture, de la recherche scientifique, des
rapports internationaux qui favorisent le dialogue et conduisent à de nouveaux
projets de vie. Il faut être attentif à ces réalités modernes et y attacher de
l'importance. Les hommes ont le sentiment d'être comme des marins sur la mer de
la vie, appelés à une unité et à une solidarité toujours plus grandes. Les
solutions des problèmes posés par l'existence doivent être étudiées, discutées,
mises à l'épreuve avec le concours de tous. Voilà pourquoi les organismes et les
rassemblements internationaux prennent toujours plus d'importance dans de
nombreux secteurs de la vie humaine, de la culture à la politique, de l'économie
à la recherche. Les chrétiens qui vivent et travaillent à ce niveau
international se rappelleront toujours qu'ils doivent témoigner de l’Évangile.
38. Notre époque
est tout à la fois dramatique et fascinante. Tandis que, d'un côté, les hommes
semblent rechercher ardemment la prospérité matérielle et se plonger toujours
davantage dans le matérialisme de la consommation, d'un autre côté, on voit
surgir une angoissante quête du sens, un besoin d'intériorité, un désir
d'apprendre des formes et des méthodes nouvelles de concentration et de prière.
Dans les cultures imprégnées de religiosité, mais aussi dans les sociétés
sécularisées, on recherche la dimension spirituelle de la vie comme antidote à
la déshumanisation. Le phénomène que l'on nomme « retour du religieux » n'est
pas sans ambiguïté, mais il contient un appel. L’Église a un immense patrimoine
spirituel à offrir à l'humanité dans le Christ qui se proclame a « la Voie, la
Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). C'est la voie chrétienne qui mène à la
rencontre de Dieu, à la prière, à l'ascèse, à la découverte du sens de la vie.
Voilà encore un aréopage à évangéliser.
39. Toutes les
formes de l'activité missionnaire sont marquées par la conscience que l'on
favorise la liberté de l'homme en lui annonçant Jésus Christ. L’Église doit être
fidèle au Christ, dont elle est le corps et dont elle poursuit la mission. Il
est nécessaire qu'elle « suive la même route que le Christ, la route de la
pauvreté, de l'obéissance, du service et de l'immolation de soi jusqu'à la mort,
dont il est sorti victorieux par sa résurrection »
.
L’Église doit donc tout faire pour déployer sa mission dans le monde et
atteindre tous les peuples; elle en a aussi le droit, qui lui a été donné par
Dieu pour la mise en œuvre de son plan. La liberté religieuse, parfois encore
limitée ou restreinte, est la condition et la garantie de toutes les libertés
qui fondent le bien commun des personnes et des peuples. Il faut souhaiter que
la véritable liberté religieuse soit accordée à tous en tout lieu, et l’Église
s'y emploie dans les différents pays, surtout dans les pays à majorité
catholique où elle a une plus grande influence. Cependant, il ne s'agit pas
d'une question de religion de la majorité ou de la minorité, mais bien d'un
droit inaliénable de toute personne humaine.
D'autre part, l’Église
s'adresse à l'homme dans l'entier respect de sa liberté :
la mission ne restreint pas la liberté, mais elle la favorise. L’Église
propose, elle n'impose rien: elle respecte les personnes et les cultures, et
elle s'arrête devant l'autel de la conscience. A ceux qui s'opposent, sous les
prétextes les plus variés, à son activité missionnaire, l’Église répète :
Ouvrez les portes au Christ !
Je m'adresse à toutes
les Églises particulières, jeunes et anciennes. Le monde est en train de
s'unifier toujours davantage l'esprit de l’Évangile doit conduire à surmonter
les barrières des cultures, des nationalismes, écartant toute fermeture. Benoît
XV donnait déjà cet avertissement aux missionnaires de son époque : ne jamais
« oublier sa dignité personnelle au point de penser davantage à sa patrie
terrestre qu'à celle du ciel »
.
La même recommandation vaut aujourd'hui pour les Églises particulières: ouvrez
les portes aux missionnaires, car « toute Église particulière qui se couperait
volontairement de l’Église universelle perdrait sa référence au dessein de Dieu;
elle s'appauvrirait dans sa dimension ecclésiale »
.
40. L'activité
missionnaire représente aujourd'hui encore le plus grand des défis pour
l’Église. Tandis que nous nous approchons de la fin du deuxième millénaire de la
Rédemption, il devient toujours plus évident que les nations qui n'ont pas
encore reçu la première annonce du Christ constituent la majeure partie de
l'humanité. Le bilan de l'activité missionnaire des temps modernes est certes
positif : l’Église a été établie sur tous les continents, et même la majorité
des fidèles et des Églises particulières ne se trouve plus aujourd'hui dans la
vieille Europe, mais sur les continents que les missionnaires ont ouverts à la
foi.
Il demeure, toutefois,
que les « extrémités de la terre » où l'on doit porter l’Évangile reculent
toujours davantage et la parole de Tertullien, selon laquelle l’Évangile a été
annoncé à toute la terre et à tous les peuples
,
est bien loin de se vérifier dans les faits: la mission ad gentes n'en
est encore qu'à ses débuts. De nouveaux peuples font leur entrée sur la scène
mondiale et ils ont le droit, eux aussi, de recevoir l'annonce du salut. La
croissance démographique du Sud et de l'Est, dans des pays non chrétiens, fait
augmenter continuellement le nombre des personnes qui ignorent la Rédemption
opérée par le Christ.
Il faut
orienter l'attention missionnaire vers les aires géographiques et vers les
milieux culturels qui sont restés à l'écart de l'influence de l’Évangile. Tous
ceux qui croient au Christ doivent éprouver, comme partie intégrante de leur
foi, le zèle apostolique de transmettre aux autres la joie et la lumière de la
foi. Ce zèle doit devenir pour ainsi dire une faim et une soif de faire
connaître le Seigneur, dès lors que le regard se porte sur les horizons immenses
du monde non chrétien.
41. « L'activité
missionnaire n'est rien d'autre, elle n'est rien de moins que la manifestation
du dessein de Dieu, son épiphanie et sa réalisation dans le monde et son
histoire, dans laquelle Dieu conduit clairement à son terme, au moyen de la
mission, l'histoire du salut »
.
Quels sont les chemins suivis par l’Église pour arriver à ce résultat ?
La mission est une
réalité globale, mais complexe, qui s'accomplit de différentes manières dont
certaines ont une importance particulière dans la situation actuelle de l’Église
et du monde.
42. L'homme
contemporain croit plus les témoins que les maîtres
,
l'expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories. Première
forme de la mission, le témoignage de la vie chrétienne est aussi irremplaçable.
Le Christ, dont nous continuons la mission, est le « témoin » par excellence
(cf. Ap 1, 5 ; 3, 14) et le modèle du témoignage chrétien. L'Esprit Saint
accompagne l’Église dans son cheminement et l'associe au témoignage qu'Il rend
au Christ (cf. Jn 15, 26-27).
La première forme de
témoignage est la vie même du missionnaire, de la famille chrétienne et de la
communauté ecclésiale, qui rend visible un nouveau mode de comportement. Le
missionnaire qui, malgré toutes ses limites et ses imperfections humaines, vit
avec simplicité à l'exemple du Christ est un signe de Dieu et des réalités
transcendantes. Mais tous dans l’Église, en s'efforçant d'imiter le divin
Maître, peuvent et doivent donner ce témoignage
;
dans bien des cas, c'est la seule façon possible d'être missionnaire.
Le témoignage
évangélique auquel le monde est le plus sensible est celui de l'attention aux
personnes et de la charité envers les pauvres, les petits et ceux qui souffrent.
La gratuité de cette attitude et de ces actions, qui contrastent profondément
avec l'égoïsme présent en l'homme, suscite des interrogations précises qui
orientent vers Dieu et vers l’Évangile. De même, l'engagement pour la paix, la
justice, les droits de l'homme, la promotion de la personne humaine est un
témoignage évangélique dans la mesure où il est une marque d'attention aux
personnes et où il tend vers le développement intégral de l'homme
.
43. Les chrétiens
et les communautés chrétiennes sont profondément intégrés à la vie de leurs
peuples, et ils sont des signes évangéliques par la fidélité à leur patrie, à
leur peuple, à leur culture nationale, tout en gardant la liberté que le Christ
leur a acquise. Le christianisme est ouvert à la fraternité universelle, parce
que tous les hommes sont fils du même Père et frères dans le Christ.
L’Église est appelée à
rendre son témoignage au Christ en prenant des positions courageuses et
prophétiques face à la corruption du pouvoir politique ou économique ; en ne
recherchant ni la gloire ni les biens matériels ; en utilisant ce qu'elle
possède pour servir les plus pauvres, et en imitant la simplicité de la vie du
Christ. L’Église et les missionnaires doivent donner également le témoignage de
l'humilité, d'abord envers eux-mêmes, en devenant capables d'un examen de
conscience au niveau personnel et communautaire, afin de corriger dans leurs
comportements ce qui s'oppose à l’Évangile et défigure le visage du Christ.
44. L'annonce a,
en permanence, la priorité dans la mission. L’Église ne peut se soustraire au
mandat explicite du Christ, elle ne peut pas priver les hommes de la Bonne
Nouvelle qu'ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui. « L'évangélisation
contiendra aussi toujours - base, centre et sommet à la fois de son dynamisme -
une claire proclamation que, en Jésus Christ ...], le salut est offert à tout
homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu »
.
Toutes les formes de l'activité missionnaire tendent à cette proclamation qui
révèle et introduit dans le mystère caché depuis les siècles et dévoilé dans le
Christ (cf. Ep 3, 3-9; Col 1, 25-29), mystère qui est au cœur de
la mission et de la vie de l’Église, et qui forme le pivot de toute
l'évangélisation.
Dans la réalité complexe
de la mission, la première annonce a un rôle central et irremplaçable parce
qu'elle introduit « dans le mystère de l'amour de Dieu, qui appelle à nouer des
rapports personnels avec lui dans le Christ »
et qu'elle ouvre la voie à la conversion. La foi naît de l'annonce et toute
communauté ecclésiale tire son origine et sa vie de la réponse personnelle de
chaque fidèle à cette annonce
.
De même que l'économie du salut est centrée sur le Christ, de même l'activité
missionnaire tend à la proclamation de son mystère.
L'annonce a pour objet
le Christ crucifié, mort et ressuscité : en lui s'accomplit la pleine et
authentique libération du mal, du péché et de la mort; en lui, Dieu donne la
« vie nouvelle », divine et éternelle. Telle est la Bonne Nouvelle qui
transforme l'homme et l'histoire de l'humanité et que tous les peuples ont le
droit de connaître. Cette annonce doit être faite dans le contexte de la vie de
l'homme et des peuples qui la reçoivent. Elle doit également être faite avec une
attitude d'amour et d'estime envers celui qui écoute, dans un langage concret et
adapté aux circonstances. Dans cette annonce, l'Esprit est à l'œuvre et instaure
une communion entre le missionnaire et les auditeurs, ce qui est possible dans
la mesure où ils communient entre eux, par le Christ, avec le Père
.
45. L'annonce
n'est jamais une action personnelle, car elle est faite en union avec toute la
communauté ecclésiale. Le missionnaire est présent et agit en vertu d'un mandat
reçu et, même s'il est seul, il est rattaché par des liens invisibles mais
profonds à l'activité évangélisatrice de toute l’Église
.
Tôt ou tard, les auditeurs entrevoient derrière lui la communauté qui l'a envoyé
et le soutient.
L'annonce est animée par
la foi, qui donne au missionnaire de l'enthousiasme et de la ferveur. Pour
définir cette attitude, comme on l'a déjà dit, les Actes emploient le
terme parrhesia qui signifie parler avec hardiesse et courage; ce terme
se trouve dans saint Paul : « Notre Dieu nous a accordé de prêcher en toute
hardiesse devant vous l’Évangile de Dieu, au milieu d'une lutte pénible » (1
Th 2, 2). « Priez aussi pour moi, afin qu'il me soit donné d'ouvrir la
bouche pour parler et d'annoncer hardiment le Mystère de l’Évangile, dont je
suis l'ambassadeur dans mes chaînes obtenez-moi la hardiesse d'en parler comme
je le dois » (Ep 6, 19-20).
Dans l'annonce du Christ
aux non-chrétiens, le missionnaire est convaincu qu'il existe déjà, tant chez
les individus que chez les peuples, grâce à l'action de l'Esprit, une attente,
même inconsciente, de connaître la vérité sur Dieu, sur l'homme, sur la voie qui
mène à la libération du péché et de la mort. L'enthousiasme à annoncer le Christ
vient de la conviction que l'on répond à cette attente ; c'est pourquoi le
missionnaire ne se décourage pas ni ne renonce à son témoignage, même s'il est
appelé à manifester sa foi dans un milieu hostile ou indifférent. Il sait que
l'Esprit du Père parle en lui (cf. Mt 10, 17-20 ; Lc 12, 11-12) et
il peut redire avec les Apôtres : « Nous sommes témoins de ces choses, nous et
l'Esprit Saint » (Ac 5, 32). Il sait qu'il n'annonce pas une vérité
humaine, mais la « Parole de Dieu », qui a une puissance intrinsèque et
mystérieuse (cf. Rm 1, 16).
La preuve suprême est le
don de la vie jusqu'à l'acceptation de la mort pour témoigner de la foi au
Christ. Comme toujours dans l'histoire chrétienne, les « martyrs », c'est-à-dire
les témoins, sont nombreux et ils sont indispensables à la marche de l’Évangile.
A notre époque aussi, il en est beaucoup : évêques, prêtres, religieux et
religieuses, laïcs, parfois héros inconnus, qui donnent leur vie en témoignage
de la foi. Ce sont eux les messagers et les témoins par excellence.
46. L'annonce de
la Parole de Dieu est ordonnée à la conversion chrétienne, c'est-à-dire à
l'adhésion pleine et sincère au Christ et à son Évangile par la foi. La
conversion est un don de Dieu, une action de la Trinité : c'est l'Esprit qui
ouvre les portes des cœurs afin que les hommes puissent croire au Seigneur et
« le confesser » (1 Co 12, 3). De celui qui s'approche de lui par la foi,
Jésus dit: « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire » (Jn
6, 44).
La conversion s'exprime
dès le début par une foi totale et radicale qui ne pose ni limites ni délais au
don de Dieu. En même temps, elle déclenche un processus dynamique et permanent
pour l'existence entière, exigeant un passage continu de la « vie selon la
chair » à la « vie selon l'Esprit » (cf. Rm 8, 3-13). La conversion
signifie que l'on accepte, par une décision personnelle, la seigneurie
salvifique du Christ et que l'on devient son disciple.
L’Église appelle tout le
monde à cette conversion, à l'exemple de Jean-Baptiste qui préparait les chemins
du Seigneur en « proclamant un baptême de repentir pour la rémission des
péchés » (Mc 1, 4), et à l'exemple du Christ lui-même qui, « après que
Jean eut été livré, vint en Galilée, proclamant l’Évangile de Dieu et disant :
“Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche; convertissez-vous
et croyez à l’Évangile” » (Mc 1, 14-15).
Aujourd'hui, l'appel à
la conversion que les missionnaires adressent aux non-chrétiens est mis en
question ou passé sous silence. On y voit un acte de « prosélytisme » ; on dit
qu'il suffit d'aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur
religion, qu'il suffit d'édifier des communautés capables d'œuvrer pour la
justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a
le droit d'entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se
donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. La grandeur de
cet événement est mise en relief par les paroles de Jésus à la Samaritaine :
« Si tu savais le don de Dieu », comme aussi par le désir inconscient mais
ardent de la femme : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus
soif » (Jn 4, 10. 15).
47. Les Apôtres,
poussés par l'Esprit Saint, invitaient tous les hommes à changer de vie, à se
convertir et à recevoir le baptême. Aussitôt après l'événement de la Pentecôte,
Pierre s'adressa à la foule de manière convaincante : « D'entendre cela, ils
eurent le cœur transpercé et ils dirent à Pierre et aux Apôtres : “Frères, que
devons-nous faire ?”. Pierre leur répondit : “Convertissez-vous, et que
chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses
péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit” » (Ac 2, 37-38).
Et il baptisa en ce jour environ trois mille personnes. Pierre encore, après la
guérison de l'impotent parla à la foule et répéta : « Convertissez-vous
donc et revenez à Dieu afin que vos péchés soient effacés! » (Ac 3, 19).
La conversion au Christ
est liée au baptême, non seulement dans la pratique de l’Église mais parce que
c'est la volonté du Christ, qui a demandé de faire des disciples de toutes les
nations et de les baptiser (cf. Mt 28, 19), et aussi en raison de
l'exigence intrinsèque de recevoir la plénitude de la vie en lui : « En vérité,
en vérité, je te le dis — déclare Jésus à Nicodème —, à moins de naître d'eau et
d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3, 5). Le
baptême en effet nous fait naître à la vie d'enfants de Dieu ; il nous unit à
Jésus Christ ; il nous confère l'onction dans l'Esprit Saint. Le baptême n'est
pas seulement le sceau de la conversion, un signe extérieur qui la fait voir et
l'atteste, c'est le sacrement qui signifie et opère cette nouvelle naissance
dans l'Esprit crée des liens réels et indissolubles avec la Trinité, rend
membres du Corps du Christ qui est l’Église.
Il faut rappeler tout
cela, car certains, précisément là où s'exerce la mission ad gentes,
tendent à dissocier la conversion au Christ et le baptême, jugeant que celui-ci
n'est pas nécessaire. Il est vrai que, dans tel ou tel milieu, on observe des
conditionnements sociologiques du baptême qui en obscurcissent la véritable
signification de foi. Divers facteurs historiques et culturels en sont la
cause : il faut les faire disparaître là où ils subsistent encore, afin que le
sacrement de la régénération spirituelle apparaisse dans toute sa valeur ; c'est
le devoir des communautés ecclésiales locales de s'y employer. Il est vrai
également qu'un certain nombre de personnes déclarent avoir intérieurement donné
leur foi au Christ et à son message, sans pour autant vouloir s'engager
sacramentellement parce que, à cause de leurs préjugés et des fautes des
chrétiens elles ne parviennent pas à percevoir la vraie nature de l’Église,
mystère de foi et d'amour
.
Je voudrais encourager ces personnes à s'ouvrir pleinement au Christ, en leur
rappelant que si elles se sentent attirées par le Christ, c'est lui qui a voulu
l’Église comme le « lieu » où elles peuvent effectivement le rencontrer. En même
temps, j'invite les fidèles et les communautés chrétiennes à témoigner
authentiquement du Christ par leur vie nouvelle.
Certes, tout converti
est un don fait à l’Église et représente pour elle une grave responsabilité, non
seulement parce qu'il faut le préparer au baptême par le catéchuménat et
poursuivre ensuite son instruction religieuse, mais parce que, surtout s'il
s'agit d'un adulte, il apporte une sorte d'énergie nouvelle, l'enthousiasme de
la foi, le désir de trouver dans l’Église même l’Évangile vécu. Il serait déçu
si, une fois entré dans la communauté ecclésiale, il y trouvait une vie sans
ferveur et sans signe de renouvellement. Nous ne pouvons pas prêcher la
conversion sans nous convertir nous-mêmes chaque jour.
48. La conversion
et le baptême introduisent dans l’Église, là où elle existe déjà, ou entraînent
la constitution de nouvelles communautés qui proclament que Jésus est Sauveur et
Seigneur. Cela fait partie du dessein de Dieu, à qui il a plu « d'appeler les
hommes à participer à sa vie non pas seulement individuellement sans aucun lien
les uns avec les autres, mais de les constituer en un peuple dans lequel ses
enfants, qui étaient dispersés, seraient rassemblés dans l'unité »
.
La mission ad gentes
a comme objectif de fonder des communautés chrétiennes, d'amener des Églises à
leur pleine maturité. C'est le but premier et spécifique de l'activité
missionnaire et on ne peut pas dire qu'il soit atteint tant qu'on n'a pas réussi
à édifier une nouvelle Église particulière vivant normalement dans son cadre
naturel. Le décret Ad gentes parle amplement de cela
et, après le Concile, on a assisté au développement d'un courant théologique
soulignant que tout le mystère de l’Église est contenu dans chaque Église
particulière, à condition que celle-ci ne s'isole pas mais demeure en communion
avec l’Église universelle et devienne, à son tour, missionnaire. Il s'agit là
d'une œuvre importante et de longue haleine dont il est difficile de préciser
les étapes où prend fin l'action proprement missionnaire et où l'on passe à
l'activité pastorale. Mais certains points doivent rester clairs.
49. Avant tout,
il est nécessaire de chercher à établir partout des communautés chrétiennes qui
soient des « signes de la présence de Dieu dans le monde »
et qui croissent jusqu'à devenir des Églises. Malgré le grand nombre des
diocèses, il y a encore de vastes zones où les Églises locales sont entièrement
absentes ou insuffisantes, compte tenu de la grande étendue du territoire ainsi
que de la densité de la population. Un important travail d'implantation et de
développement de l’Église reste à faire. Cette phase de l'histoire ecclésiale,
qu'on appelle plantatio Ecclesiæ, n'est pas terminée, au contraire elle
est encore à entreprendre dans bien des groupements humains.
La responsabilité de
cette tâche incombe à l’Église universelle et aux Églises particulières, à tout
le Peuple de Dieu et à toutes les forces missionnaires. Toute Église, même si
elle n'est composée que de nouveaux convertis, est missionnaire par sa nature ;
elle est évangélisée et évangélisatrice. La foi doit toujours être présentée
comme don de Dieu qu'il faut vivre en communauté (familles, paroisses,
associations) et qui doit rayonner à l'extérieur par le témoignage de la vie et
celui de la parole. L'action évangélisatrice de la communauté chrétienne,
d'abord sur son territoire et ensuite ailleurs comme participation à la mission
universelle, est le signe le plus clair de la maturité de la foi. Il faut
convertir radicalement son état d'esprit pour devenir missionnaire, et cela vaut
pour les personnes comme pour les communautés. Le Seigneur appelle toujours à
sortir de soi-même, et à partager avec les autres les biens que nous avons, en
commençant par le plus précieux, celui de la foi. C'est à la lumière de cet
impératif missionnaire qu'on devra apprécier la valeur des organismes, des
mouvements, des paroisses et des œuvres d'apostolat de l’Église. C'est seulement
en devenant missionnaire que la communauté chrétienne pourra dépasser ses
divisions et ses tensions internes et retrouver son unité et la vigueur de sa
foi.
Les forces missionnaires
provenant d'autres Églises et d'autres pays doivent agir en communion avec les
éléments locaux pour le développement de la communauté chrétienne. Il leur
revient en particulier— toujours suivant les directives des évêques et en
collaboration avec les responsables locaux — de promouvoir la diffusion de la
foi et l'expansion de l’Église dans des milieux et dans des groupes non
chrétiens, de communiquer un souffle missionnaire aux Églises locales, en sorte
que la préoccupation pastorale soit toujours liée au souci de la mission ad
gentes. Ainsi, chaque Église fera vraiment sienne la sollicitude du Christ,
le Bon Pasteur, qui se prodigue à son troupeau, mais pense en même temps aux
« autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie » (Jn 10, 16).
50. Cette
sollicitude motivera et stimulera un engagement œcuménique renouvelé. Les liens
existant entre l'activité œcuménique et l'activité missionnaire imposent
de prendre en considération simultanément deux facteurs. D'une part, on doit
reconnaître que « la division des chrétiens nuit à la cause très sacrée de la
prédication de l’Évangile à toute créature, et pour beaucoup elle ferme l'accès
à la foi »
.
Le fait que la Bonne Nouvelle de la réconciliation soit prêchée par les
chrétiens qui sont eux-mêmes divisés en affaiblit le témoignage ; il est donc
urgent de travailler pour l'unité des chrétiens afin que l'activité missionnaire
puisse se révéler plus convaincante. En même temps, nous ne devons pas oublier
qu'en eux-mêmes les efforts déployés en vue de l'unité constituent un signe de
l'œuvre de réconciliation que Dieu accomplit au milieu de nous.
D'autre part, il est
vrai que tous ceux qui ont reçu le baptême dans le Christ se trouvent dans une
certaine communion, bien qu'imparfaite. Et c'est là le fondement de
l'orientation donnée par le Concile : « Étant bannie toute apparence
d'indifférentisme, de confusionnisme et d'odieuse rivalité, les catholiques
collaborent avec les frères séparés, selon les dispositions du décret sur
l'œcuménisme, par une commune profession de foi en Dieu et en Jésus Christ
devant les nations, dans la mesure du possible, et par une coopération dans les
questions sociales et techniques, culturelles et religieuses »
.
L'activité œcuménique et
le témoignage concordant rendu à Jésus Christ par des chrétiens appartenant à
différentes Églises et communautés ecclésiales ont déjà porté des fruits
abondants. Mais il est toujours plus urgent qu'ils collaborent et témoignent
ensemble, en ce temps où des sectes chrétiennes et parachrétiennes sèment la
confusion par leur action. L'expansion de ces sectes constitue une menace pour
l’Église catholique et pour toutes les communautés ecclésiales avec lesquelles
elle poursuit un dialogue. Partout où cela est possible, et suivant les
conditions locales, la réponse des chrétiens pourra aussi être œcuménique.
51. Les
communautés ecclésiales de base (connues aussi sous d'autres noms) constituent
un phénomène au développement rapide dans les jeunes Églises. Les évêques et
leurs conférences les encouragent et en font parfois un choix prioritaire de la
pastorale. Elles sont en train de faire leurs preuves comme centres de formation
chrétienne et de rayonnement missionnaire. Il s'agit de groupes de chrétiens
qui, au niveau familial ou dans un cadre restreint, se réunissent pour la
prière, la lecture de l’Écriture, la catéchèse ainsi que le partage de problèmes
humains et ecclésiaux en vue d'un engagement commun. Elles sont un signe de la
vitalité de l’Église, un instrument de formation et d'évangélisation, un bon
point de départ pour aboutir à une nouvelle société fondée sur la « civilisation
de l'amour ».
Ces communautés
décentralisent et articulent la communauté paroissiale, à laquelle elles
demeurent toujours unies ; elles s'enracinent dans les milieux populaires et
ruraux, devenant un ferment de vie chrétienne, d'attention aux plus petits,
d'engagement pour la transformation de la société. Dans ces groupes, le chrétien
fait une expérience communautaire, par laquelle il se sent partie prenante et
encouragé à apporter sa collaboration à l'engagement de tous. Les communautés
ecclésiales de base sont de cette manière un instrument d'évangélisation et de
première annonce ainsi qu'une source de nouveaux ministères, tandis que, animées
de la charité du Christ, elles montrent aussi comment il est possible de
dépasser les divisions, les tribalismes, les racismes.
Toute communauté doit en
effet, pour être chrétienne, s'établir sur le Christ et vivre du Christ, dans
l'écoute de la Parole de Dieu, dans la prière centrée sur l'Eucharistie, dans la
communion qui s'exprime par l'unité du cœur et de l'esprit, et dans le partage
suivant les besoins de ses membres (cf. Ac 2, 42-47). Toute communauté —
rappelait Paul VI — doit vivre dans l'unité avec l’Église particulière et
l’Église universelle, dans une communion sincère avec les Pasteurs et le
magistère, dans un engagement à se faire missionnaire en évitant tout repli et
toute exploitation idéologique
.
Et le Synode des Évêques a déclaré : « Puisque l’Église est communion, les
nouvelles “communautés ecclésiales de base”, si elles vivent vraiment dans
l'unité de l’Église, sont une authentique expression de communion et un moyen
pour construire une communion plus profonde. Elles constituent donc un motif de
grande espérance pour la vie de l’Église »
.
52. En exerçant
son activité missionnaire parmi les peuples, l’Église entre en contact avec
différentes cultures et se trouve engagée dans le processus d'inculturation.
C'est une exigence qui a marqué tout son parcours au long de l'histoire et qui
se fait aujourd'hui particulièrement sensible et urgente.
Le processus d'insertion
de l’Église dans les cultures des peuples demande beaucoup de temps : il ne
s'agit pas d'une simple adaptation extérieure, car l'inculturation « signifie
une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur
intégration dans le christianisme, et l'enracinement du christianisme dans les
diverses cultures humaines »
.
C'est donc un processus profond et global qui engage le message chrétien de même
que la réflexion et la pratique de l’Église. Mais c'est aussi un processus
difficile, car il ne doit en aucune manière compromettre la spécificité et
l'intégrité de la foi chrétienne.
Par l'inculturation,
l’Église incarne l’Évangile dans les diverses cultures et, en même temps, elle
introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté
;
elle leur transmet ses valeurs, en assumant ce qu'il y a de bon dans ces
cultures et en les renouvelant de l'intérieur
.
Pour sa part, l’Église, par l'inculturation, devient un signe plus
compréhensible de ce qu'elle est et un instrument plus adapté à sa mission.
Grâce à cette action
dans les Églises locales, l’Église universelle elle-même s'enrichit
d'expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie
chrétienne, tels que l'évangélisation, le culte, la théologie, les œuvres
caritatives ; elle connaît et exprime mieux le mystère du Christ, et elle est
incitée à se renouveler constamment. Ces thèmes, présents dans le Concile et,
par la suite, dans les enseignements du magistère, je les ai sans cesse abordés
au cours de mes visites pastorales aux jeunes Églises
.
L'inculturation est un
processus lent, qui embrasse toute l'étendue de la vie missionnaire et met en
cause les divers agents de la mission ad gentes, les communautés
chrétiennes au fur et à mesure qu'elles se développent, les Pasteurs qui ont la
responsabilité de discernement et d'encouragement dans sa mise en œuvre
.
53. Les
missionnaires originaires d'autres Églises et d'autres pays doivent s'insérer
dans le monde socioculturel de ceux vers lesquels ils sont envoyés, en
surmontant les conditionnements de leur milieu d'origine. C'est ainsi qu'ils
doivent apprendre la langue de la région où ils travaillent, connaître les
expressions les plus significatives de la culture des habitants, en en
découvrant les valeurs par l'expérience directe. C'est seulement grâce à cette
connaissance qu'ils pourront livrer aux peuples d'une manière crédible et
fructueuse la connaissance du mystère caché (cf. Rm 16 25-27 ; Ep
3, 5). Il ne s'agit certes pas pour eux de renoncer à leur identité culturelle,
mais de comprendre, d'apprécier, de promouvoir et d'évangéliser celle du milieu
où ils travaillent et donc d'être en mesure de communiquer réellement avec lui,
en adoptant un style de vie qui soit un signe de leur témoignage évangélique et
de leur solidarité avec les gens.
Les communautés
ecclésiales en formation, inspirées par l’Évangile, pourront exprimer
progressivement leur expérience chrétienne d'une manière originale, dans la
ligne de leurs traditions culturelles, à condition de demeurer en harmonie avec
les exigences objectives de la foi proprement dite. Dans ce but, spécialement en
ce qui concerne les domaines les plus délicats de l'inculturation les Églises
particulières d'un même territoire devront travailler en communion les unes avec
les autres
et avec toute l’Église, convaincues que seule une attention à l’Église
universelle et aux Églises particulières les rendra capables de traduire le
trésor de la foi dans la légitime variété de ses expressions
.
C'est pourquoi les groupes évangélisés offriront les éléments pour une
«traduction» du message évangélique
en tenant compte des éléments positifs apportés au cours des siècles grâce au
contact du christianisme avec les différentes cultures, mais sans oublier les
dangers d'altération qui se sont parfois manifestés
.
54. A ce propos,
certaines précisions restent fondamentales. L'inculturation correctement menée
doit être guidée par deux principes : « La compatibilité avec l’Évangile et la
communion avec l’Église universelle »
.
Gardiens du « dépôt de la foi », les évêques veilleront à la fidélité et,
surtout, au discernement
,
ce qui requiert un profond équilibre ; car on risque de passer sans analyse
critique d'une sorte d'aliénation par rapport à la culture à une surévaluation
de la culture, qui est une production de l'homme, et qui est donc marquée par le
péché. La culture a besoin, elle aussi, d'être « purifiée, élevée et
perfectionnée ».
Un tel processus doit
s'effectuer graduellement, de façon qu'il soit vraiment l'expression de
l'expérience chrétienne de la communauté : « il faudra une incubation du mystère
chrétien dans le génie de votre peuple — disait Paul VI à Kampala — pour
qu'ensuite sa voix originale, plus limpide et plus franche, s'élève,
harmonieuse, dans le chœur des autres voix de l’Église universelle »
.
En définitive, l'inculturation doit être l'affaire de tout le Peuple de Dieu et
pas seulement de quelques experts, car on sait que le peuple reflète
l'authentique sens de la foi qu'il ne faut jamais perdre de vue. Certes, elle
doit être guidée et stimulée, mais pas forcée afin de ne pas provoquer de
réactions négatives parmi les chrétiens : elle doit être l'expression de la vie
communautaire, c'est-à-dire mûrir au sein de la communauté, et non pas le fruit
exclusif de recherches érudites. La sauvegarde des valeurs traditionnelles est
l'effet d'une foi mûre.
55. Le dialogue
inter-religieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église. Entendu
comme méthode et comme moyen en vue d'une connaissance et d'un enrichissement
réciproques, il ne s'oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il
lui est spécialement lié et il en est une expression. Car cette mission a pour
destinataires les hommes qui ne connaissent pas le Christ ni son Évangile et
qui, en grande majorité, appartiennent à d'autres religions. Dieu appelle à lui
toutes les nations dans le Christ, il veut leur communiquer la plénitude de sa
révélation et de son amour, il ne manque pas non plus de manifester sa présence
de beaucoup de manières, non seulement aux individus mais encore aux peuples,
par leurs richesses spirituelles dont les religions sont une expression
principale et essentielle, bien qu'elles comportent « des lacunes, des
insuffisances et des erreurs »
.
Le Concile et les enseignements ultérieurs du magistère ont amplement souligné
tout cela, maintenant toujours avec fermeté que le salut vient du Christ
et que le dialogue ne dispense pas de l'évangélisation
.
A la lumière de
l'économie du salut, l’Église estime qu'il n'y a pas contradiction entre
l'annonce du Christ et le dialogue inter-religieux, mais elle sent la nécessité
de les coordonner dans le cadre de sa mission ad gentes. En effet, il
faut que ces deux éléments demeurent intimement liés et en même temps distincts,
et c'est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter, ni les tenir
pour équivalents comme s'ils étaient interchangeables.
J'ai écrit récemment aux
évêques d'Asie : « Bien que l’Église reconnaisse volontiers tout ce qui est vrai
et saint dans les traditions religieuses du bouddhisme, de l'hindouisme et de
l'islam, comme un reflet de la vérité qui éclaire tous les hommes, cela ne
diminue pas son devoir et sa détermination de proclamer sans hésitation Jésus
Christ qui est “la Voie, la Vérité et la Vie” [...]. Le fait que les adeptes
d'autres religions puissent recevoir la grâce de Dieu et être sauvés par le
Christ en dehors des moyens ordinaires qu'il a institués n'annule donc pas
l'appel à la foi et au baptême que Dieu veut pour tous les peuples »
.
En effet, le Christ lui-même, « en nous enseignant expressément la nécessité de
la foi et du baptême [...], nous a confirmé en même temps la nécessité de
l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du
baptême »
.
Le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans la conviction que l’Église
est la voie ordinaire du salut et qu'elle seule possède la plénitude
des moyens du salut.
56. Le dialogue
n'est pas la conséquence d'une stratégie ou d'un intérêt, mais c'est une
activité qui a ses motivations, ses exigences et sa dignité propres : il est
demandé par le profond respect qu'on doit avoir envers tout ce que l'Esprit, qui
« souffle où il veut », a opéré en l'homme
.
Grâce au dialogue, l’Église entend découvrir les « semences du Verbe »
,
les « rayons de la vérité qui illumine tous les hommes »
,
semences et rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions
religieuses de l'humanité. Le dialogue est fondé sur l'espérance et la charité,
et il portera des fruits dans l'Esprit. Les autres religions constituent un défi
positif pour l’Église d'aujourd'hui ; en effet, elles l'incitent à découvrir et
à reconnaître les signes de la présence du Christ et de l'action de l'Esprit, et
aussi à approfondir son identité et à témoigner de l'intégrité de la Révélation
dont elle est dépositaire pour le bien de tous.
On voit par là quel
esprit doit animer ce dialogue dans le contexte de la mission. L'interlocuteur
doit être cohérent avec ses traditions et ses convictions religieuses et ouvert
à celles de l'autre pour les comprendre, sans dissimulation ni fermeture, mais
dans la vérité, l'humilité, la loyauté, en sachant bien que le dialogue peut
être une source d'enrichissement pour chacun. Il ne doit y avoir ni
capitulation, ni irénisme, mais témoignage réciproque en vue d'un progrès des
uns et des autres sur le chemin de la recherche et de l'expérience religieuses
et aussi en vue de surmonter les préjugés, l'intolérance et les malentendus. Le
dialogue tend à la purification et à la conversion intérieure qui, si elles se
font dans la docilité à l'Esprit, seront spirituellement fructueuses.
57. Un vaste
domaine est ouvert au dialogue qui peut revêtir des formes et des expressions
multiples : depuis les échanges entre experts de traditions religieuses ou entre
représentants officiels de celles-ci jusqu'à la collaboration pour le
développement intégral et la sauvegarde des valeurs religieuses ; de la
communication des expériences spirituelles respectives à ce qu'il est convenu
d'appeler « le dialogue de vie », à travers lequel les croyants de diverses
confessions témoignent les uns pour les autres, dans l'existence quotidienne, de
leurs valeurs humaines et spirituelles et s'entraident à en vivre pour édifier
une société plus juste et plus fraternelle.
Tous les fidèles et
toutes les communautés chrétiennes sont appelés à pratiquer le dialogue, même si
ce n'est pas au même niveau et sous des modalités identiques. Pour ce dialogue,
la contribution des laïcs est indispensable : « Par l'exemple de leur vie et par
leur action, les fidèles laïcs peuvent améliorer les rapports entre les adeptes
des différentes religions »
,
et, de plus, certains d'entre eux seront en mesure de contribuer à la recherche
et à l'étude
.
Sachant que pour
beaucoup de missionnaires et de communautés chrétiennes la voie difficile et
souvent incomprise du dialogue constitue l'unique manière de rendre un
témoignage sincère au Christ et un service généreux à l'homme, je désire les
encourager à persévérer avec foi et amour, là même où leurs efforts ne
rencontrent ni attention ni réponse. Le dialogue est un chemin vers le Royaume
et il donnera sûrement ses fruits, même si les temps et les moments sont
réservés au Père (cf. Ac 1, 7).
58. La mission
ad gentes se déroule encore aujourd'hui, pour une grande partie, dans les
régions de l'hémisphère sud, là où l'action pour le développement intégral et la
libération de toute oppression est la plus urgente. L’Église a toujours su
éveiller, parmi les populations qu'elle a évangélisées, un élan vers le progrès,
et aujourd'hui, plus que dans le passé, les gouvernements et les experts
internationaux reconnaissent que les missionnaires sont aussi des promoteurs
du développement et ils admirent les remarquables résultats obtenus avec
très peu de moyens.
Dans l'encyclique
Sollicitudo rei socialis, j'ai déclaré que « l’Église n'a pas de solutions
techniques à offrir face au problème du sous-développement comme tel », mais
qu’« elle apporte sa première contribution à la solution du problème urgent du
développement quand elle proclame la vérité sur le Christ, sur elle-même et sur
l'homme, en l'appliquant à une situation concrète »
.
La Conférence des évêques latino-américains à Puebla a affirmé que « le meilleur
service à rendre à l'homme est l'évangélisation qui le dispose à s'épanouir
comme fils de Dieu, le libère des injustices et encourage son développement
intégral »
.
La mission de l’Église n'est pas d'agir directement sur le plan économique,
technique, politique, ou de contribuer matériellement au développement, mais
elle consiste essentiellement à offrir aux peuples non pas « plus d'avoir » mais
« plus d'être », en réveillant les consciences par l’Évangile. « Le
développement humain authentique doit se fonder sur une évangélisation toujours
plus profonde »
.
L’Église et les
missionnaires sont des promoteurs du développement grâce à leurs écoles, à leurs
hôpitaux, à leurs imprimeries, à leurs universités, à leurs exploitations
agricoles expérimentales. Toutefois, le développement d'un peuple ne vient pas
d'abord de l'argent, ni des aides matérielles, ni des structures techniques,
mais bien plutôt de la formation des consciences, du mûrissement des mentalités
et des comportements. C'est l'homme qui est le protagoniste du développement,
et non pas l'argent ni la technique. L’Église éduque les consciences en révélant
aux peuples le Dieu qu'ils cherchent sans le connaître, en leur révélant la
grandeur de l'homme créé à l'image de Dieu et aimé par lui, en leur révélant
l'égalité de tous les hommes comme fils de Dieu, leur empire sur la création qui
est mise à leur service, leur devoir de s'engager pour le développement de tout
l'homme et de tous les hommes.
59. Par le
message évangélique, l’Église apporte une force qui libère et qui agit en faveur
du développement, précisément parce qu'il amène à la conversion du cœur et de
l'esprit, parce qu'il fait reconnaître la dignité de chacun, parce qu'il dispose
à la solidarité, à l'engagement, au service d'autrui et qu'il insère l'homme
dans le projet de Dieu, qui est de construire un Royaume de paix et de justice
dès cette vie. C'est la perspective biblique des « cieux nouveaux et de la terre
nouvelle » (cf. Is 65, 17 ; 2 P 3, 13 ; Ap 21, 1), qui a
été dans l'histoire le stimulant et le but de la marche en avant de l'humanité.
Le développement de l'homme vient de Dieu, du modèle qu'est Jésus Homme-Dieu, et
il doit conduire à Dieu
.
C'est la raison pour laquelle il y a un lien étroit entre l'annonce de
l’Évangile et la promotion de l'homme.
La contribution de
l’Église et de l'évangélisation au développement des peuples ne concerne pas
seulement l'hémisphère sud pour y combattre la misère matérielle et le
sous-développement mais également l'hémisphère nord exposé à la misère morale et
spirituelle engendrée par le « sur-développement »
.
Une certaine modernité a-religieuse, qui prévaut dans diverses régions du monde,
se fonde sur l'idée que, pour rendre l'homme plus homme il suffit de s'enrichir
et de poursuivre la croissance technique et économique. Mais un développement
sans âme ne peut suffire à l'homme, et l'excès d'opulence est nocif pour lui
tout comme l'excès de pauvreté. C'est le « modèle de développement » qu'a édifié
l'hémisphère nord et qu' il répand dans le sud, où le sens religieux et les
valeurs humaines qui s'y trouvent risquent d'être emportés par l'envahissement
de la consommation.
« Changer de vie pour
lutter contre la faim », tel est le slogan qui est apparu dans des milieux
ecclésiaux et qui montre aux peuples riches le chemin pour devenir frères des
peuples pauvres il faut revenir à une vie plus austère afin de favoriser un
nouveau modèle de développement intégrant les valeurs éthiques et religieuses.
L'activité missionnaire apporte aux pauvres lumière et encouragement pour
leur véritable développement. La nouvelle évangélisation devra entre
autres faire prendre conscience aux riches que l'heure est venue de se montrer
réellement frères des pauvres, grâce à une conversion commune au « développement
intégral » ouvert sur l'Absolu
.
60. « L’Église
dans le monde entier — ai-je déclaré durant ma visite au Brésil — veut être
l’Église des pauvres [...]. Elle veut mettre en lumière toute la vérité contenue
dans les Béatitudes du Christ, et surtout dans la première : “Bienheureux les
pauvres de cœur”. Elle veut enseigner cette vérité et la mettre en pratique,
comme Jésus est venu le faire et l'enseigner »
.
Les jeunes Églises, qui
vivent la plupart du temps parmi des populations souffrant d'une grande
pauvreté, expriment souvent cette préoccupation comme une partie intégrante de
leur mission. La Conférence générale de l'épiscopat latino-américain à Puebla,
après avoir rappelé l'exemple de Jésus, écrit que « les pauvres méritent une
attention préférentielle, quelle que soit la situation morale ou personnelle
dans laquelle ils se trouvent. Ils sont faits à l'image et à la ressemblance de
Dieu [...] pour être ses enfants, mais cette image est ternie et même outragée.
Aussi, Dieu prend leur défense et les aime [...]. Il s'ensuit que les premiers
destinataires de la mission sont les pauvres [...], et que leur évangélisation
est par excellence un signe et une preuve de la mission de Jésus »
.
Fidèle à l'esprit des
Béatitudes, l’Église est appelée à partager avec les pauvres et avec les
opprimés de toute sorte. C'est pourquoi j'exhorte tous les disciples du Christ
et toutes les communautés chrétiennes, des familles aux diocèses, des paroisses
aux Instituts religieux, à faire une révision de vie sincère, dans le sens de la
solidarité avec les pauvres. En même temps, je remercie les missionnaires qui,
par leur présence aimante et leur humble service, œuvrent en vue du
développement intégral de la personne et de la société, grâce aux écoles, aux
centres sanitaires, aux léproseries, aux maisons d'accueil pour les personnes
handicapées et les vieillards, aux initiatives pour la promotion de la femme, et
d'autres encore. Je remercie les prêtres, les religieux, les religieuses et les
laïcs pour leur dévouement et j'adresse mes encouragements aux volontaires des
Organisations non gouvernementales, aujourd'hui toujours plus nombreux, qui se
consacrent à ces œuvres de charité et de promotion humaine.
Ce sont en effet ces
œuvres qui témoignent de l'âme de toute l'activité missionnaire, c'est-à-dire de
l'amour qui est et reste le moteur de la mission et qui est
également « l'unique critère selon lequel tout doit être fait ou ne pas être
fait, changé ou ne pas être changé. C'est le principe qui doit diriger toute
action, et la fin à laquelle elle doit tendre. Quand on agit selon la charité ou
quand on est mû par la charité, rien n'est désavantageux et tout est bon »
.
61. Il n'y a pas
de témoignage sans témoins, de même qu'il n'y a pas de mission sans
missionnaires. Pour collaborer à sa mission et continuer son œuvre de salut,
Jésus choisit et envoie des personnes qui seront ses témoins et ses apôtres :
« Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et
jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8).
Les Douze sont les
premiers agents de la mission universelle: ils constituent un « sujet
collégial » de la mission, eux qui ont été choisis par Jésus pour être avec lui,
et envoyés « aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 10, 6). Cette
collégialité n'empêche pas que, dans le groupe, se distinguent des figures
particulières comme Jacques, Jean, et par-dessus tout Pierre dont la personne
est tellement en relief que l'expression « Pierre et les autres Apôtres » (Ac
2, 14. 37) s'en trouve justifiée. Grâce à lui, s'ouvrent les horizons de la
mission universelle, où excellera par la suite Paul qui, par la volonté de Dieu,
fut appelé et envoyé parmi les païens (cf. Ga 1, 15-16).
Dans les premiers temps
de l'expansion missionnaire, nous trouvons, à côté des Apôtres, d'autres agents
moins en vue qu'il ne faut pas oublier : il y a des personnes, des groupes, des
communautés. La communauté d'Antioche est un exemple typique d’Église locale
qui, d'évangélisée, se fait évangélisatrice et envoie ses missionnaires parmi
les païens (cf. Ac 13, 2-3). L’Église primitive vit la mission comme une
tâche communautaire, tout en reconnaissant en son sein des « envoyés spéciaux »
ou « missionnaires consacrés aux païens », comme Paul et Barnabé.
62. Ce qui a été
fait au début du christianisme pour la mission universelle conserve sa valeur et
son urgence aujourd'hui. L’Église est missionnaire par nature, car le précepte
du Christ n'est pas quelque chose de contingent ni d'extérieur, mais il est au
cœur même de l’Église. Il en résulte que toute l’Église, que chaque Église, est
envoyée aux païens. Les jeunes Églises elles-mêmes, précisément « pour que ce
zèle missionnaire fleurisse chez les membres de leur patrie », doivent « dès que
possible, participer effectivement à la mission universelle de l’Église en
envoyant elles aussi des missionnaires pour annoncer l’Évangile par toute la
terre, même si elles souffrent d'une pénurie de clergé »
.
Beaucoup le font déjà et je les encourage vivement à continuer.
Le caractère
authentiquement et pleinement missionnaire trouve son expression dans ce lien
essentiel de communion entre l’Église universelle et les Églises particulières :
« En un monde qui devient toujours plus petit par suite de l'abolition des
distances, les communautés ecclésiales doivent s'unir entre elles, échanger
leurs énergies et leurs moyens, s'engager ensemble dans l'unique et commune
mission d'annoncer et de vivre l’Évangile. Les “jeunes Églises” [...] ont besoin
de la force des Églises anciennes, et en même temps celles-ci ont besoin du
témoignage et de l'impulsion des jeunes Églises, de sorte que chacune de ces
Églises puise dans les richesses des autres »
.
63. De même que
le Seigneur ressuscité confia le précepte de la mission universelle au collège
apostolique, avec Pierre à sa tête, de même cette responsabilité incombe avant
tout au collège des évêques, avec à sa tête le successeur de Pierre
.
Conscient de cette responsabilité, lors de mes rencontres avec les évêques, je
ressens le devoir de m'en entretenir avec eux dans la perspective de la nouvelle
évangélisation ou de la mission universelle . J'ai entrepris de parcourir les
chemins du monde, « pour annoncer l’Évangile, pour "confirmer mes frères" dans
la foi, pour consoler l’Église, pour rencontrer l'homme. Ce sont des voyages de
foi [...]. Ce sont des occasions de catéchèse itinérante, d'annonce évangélique
dans le prolongement, à toutes les latitudes, de l’Évangile et du magistère
apostolique étendus aux sphères planétaires d'aujourd'hui »
.
Mes frères évêques sont,
avec moi, directement responsables de l'évangélisation du monde, en tant que
membres du collège épiscopal et en tant que pasteurs des Églises particulières.
A ce sujet, le Concile déclare : « Le soin d'annoncer l’Évangile sur toute la
terre revient au corps des pasteurs: à eux tous, en commun, le Christ a donné
mandat... » . Il affirme également que les évêques « ont été consacrés non
seulement pour un diocèse, mais pour le salut du monde entier »
.
Cette responsabilité collégiale a des conséquences pratiques. Ainsi, « le Synode
des évêques [...] doit avoir parmi les affaires d'importance générale un souci
spécial de l'activité missionnaire, qui est la charge la plus importante et la
plus sacrée de l’Église »
.
Cette même responsabilité rejaillit, à des degrés divers, sur les conférences
épiscopales et sur leurs organismes au niveau continental, qui ont donc une
contribution propre à apporter à l'effort missionnaire
.
Le rôle missionnaire de
chaque évêque, en tant que pasteur d'une Église particulière, est vaste lui
aussi. Il lui revient, « comme chef et centre de l'unité dans l'apostolat
diocésain, de promouvoir l'activité missionnaire, de la diriger, de la
coordonner [...]. L'évêque doit veiller en outre à ce que l'activité apostolique
ne soit pas limitée aux seuls convertis, mais à ce qu'une juste part d'ouvriers
et de subsides soit destinée à l'évangélisation des non-chrétiens »
.
64. Chaque Église
particulière doit s'ouvrir généreusement aux besoins des autres. La
collaboration entre les Églises, dans une réelle réciprocité qui les dispose à
donner et à recevoir, est aussi une source d'enrichissement pour toutes et elle
concerne les divers secteurs de la vie ecclésiale. A cet égard, la déclaration
des évêques à Puebla reste exemplaire : « Enfin l'heure est arrivée, pour
l'Amérique latine, [...] d'aller au-delà de ses frontières, ad gentes. Il
est certain que nous avons encore besoin nous-mêmes de missionnaires, mais nous
devons donner de notre pauvreté »
.
C'est dans cet esprit
que j'invite les évêques et les Conférences épiscopales à mettre généreusement
en pratique ce qui est prévu dans les Directives que la Congrégation pour
le Clergé a publiées pour la collaboration entre les Églises particulières et
spécialement pour une meilleure répartition du clergé dans le monde
.
La mission de l’Église
est plus large que la « communion entre les Églises » : elle doit non seulement
assurer l'aide pour la réévangélisation, mais aussi et surtout être orientée
dans le sens de l'activité spécifiquement missionnaire. J'en appelle à toutes
les Églises, jeunes et anciennes, pour qu'elles partagent avec moi cette
préoccupation, en travaillant à l'accroissement des vocations missionnaires et
en surmontant les difficultés.
65. Parmi les
agents de la pastorale missionnaire, les personnes et les institutions
auxquelles le décret Ad gentes consacre un chapitre spécial intitulé
« Les missionnaires »
occupent toujours, comme par le passé, une place d'une importance fondamentale.
Ici s'impose une réflexion approfondie avant tout pour les missionnaires
eux-mêmes qui, par suite des changements que connaît la mission, peuvent être
amenés à ne plus comprendre le sens de leur vocation, à ne plus savoir de façon
précise ce que l’Église attend d'eux aujourd'hui.
La donnée de base est
constituée par cette déclaration du Concile : « Bien qu'à tout disciple du
Christ incombe pour sa part la charge de répandre la foi, le Christ Seigneur
appelle toujours parmi ses disciples ceux qu'il veut, pour qu'ils soient avec
lui et pour les envoyer prêcher aux peuples païens [...]. Aussi par l'Esprit
Saint, qui partage comme il lui plaît les charismes pour le bien de l’Église
[...], inspire-t-il la vocation missionnaire dans le cœur de certains individus
et suscite-t-il en même temps dans l’Église des instituts qui se chargent comme
d'un office propre de la mission d'évangélisation qui appartient à toute
l’Église »
.
Il s'agit donc d'une
« vocation spéciale », modelée sur celle des Apôtres. Elle se manifeste dans le
caractère absolu de l'engagement au service de l'évangélisation, un engagement
qui prend toute la personne et toute la vie du missionnaire, exigeant de lui un
don sans limites de ses forces et de son temps. Quant à ceux qui ont cette
vocation, « envoyés par l'autorité légitime, ils partent dans la foi et
l'obéissance vers ceux qui sont loin du Christ, mis à part pour l'œuvre en vue
de laquelle ils ont été choisis [...] comme ministres de l’Évangile »
.
Les missionnaires doivent sans cesse méditer sur la réponse exigée par le don
qu'ils ont reçu et entretenir leur formation doctrinale et apostolique.
66. Les Instituts
missionnaires, de leur côté, emploieront toutes les ressources nécessaires,
mettant à profit leur expérience et leur créativité dans la fidélité au charisme
de leur origine, pour préparer comme il convient les candidats et assurer le
renouvellement des énergies spirituelles, morales et physiques de leurs membres
.
Ils se considéreront comme à part entière dans la communauté ecclésiale et ils
agiront en communion avec elle. En effet, « tout Institut est né pour l’Église
et est tenu de l'enrichir de ses éléments caractéristiques marqués par un esprit
particulier et une mission spécifique », les évêques eux-mêmes sont les gardiens
de cette fidélité au charisme de l'origine
.
Les Instituts
missionnaires sont nés généralement dans les Églises de chrétienté ancienne et,
historiquement, ils ont été des instruments de la Congrégation de Propaganda
Fide pour la diffusion de la foi et la fondation de nouvelles Églises. Ils
accueillent aujourd'hui, et de plus en plus, des candidats provenant des jeunes
Églises qu'ils ont fondées, tandis que de nouveaux Instituts sont nés
précisément dans les pays qui auparavant recevaient seulement des missionnaires
et qui aujourd'hui en envoient. Il faut louer cette double tendance qui montre
la valeur et l'actualité de la vocation missionnaire spécifique de ces
Instituts, lesquels « demeurent absolument nécessaires »
,
non seulement pour l'activité missionnaire ad gentes selon leur
tradition, mais aussi pour l'animation missionnaire tant dans les Églises de
chrétienté ancienne que dans les jeunes Églises.
La vocation spéciale des
missionnaires ad vitam conserve toute sa valeur: elle est le paradigme de
l'engagement missionnaire de l’Église, qui a toujours besoin que certains se
donnent radicalement et totalement, qui a toujours besoin d'élans nouveaux et
audacieux. Que les missionnaires, hommes et femmes, qui ont consacré toute leur
vie à témoigner du Ressuscité parmi les nations, ne se laissent donc pas
effrayer par des doutes, des incompréhensions, des refus, des persécutions.
Qu'ils réveillent la grâce de leur charisme spécifique et reprennent leur route
avec courage, en préférant — en esprit de foi, d'obéissance et de communion avec
leurs Pasteurs — les postes les plus humbles et les plus difficiles !
67.
Collaborateurs de l'évêque, les prêtres, en vertu du sacrement de l'Ordre, sont
appelés à partager la sollicitude pour la mission : « Le don spirituel que les
prêtres ont reçu à l'ordination les prépare, non pas à une mission limitée et
restreinte, mais à une mission de salut d'ampleur universelle, “jusqu'aux
extrémités de la terre” [...] ; n'importe quel ministère sacerdotal participe,
en effet aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux
Apôtres »
.
Pour cette raison, la formation même des candidats au sacerdoce doit viser à
leur donner « ce véritable esprit catholique qui les habituera à dépasser les
limites de leur diocèse, de leur nation ou de leur rite pour subvenir aux
besoins de l’Église entière, prêts au fond du cœur à prêcher l’Évangile en
quelque lieu que ce soit ».
Tous les prêtres doivent avoir un cœur et une mentalité missionnaires, être
ouverts aux besoins de l’Église et du monde, attentifs aux plus éloignés et
surtout aux groupes non chrétiens de leur milieu. Dans la prière et en
particulier dans le sacrifice eucharistique, ils porteront la sollicitude de
toute l’Église pour l'ensemble de l'humanité.
Plus spécialement, les
prêtres qui se trouvent dans des zones à minorité chrétienne doivent être mus
par un zèle et une volonté missionnaires particuliers; le Seigneur, en effet,
leur confie non seulement la sollicitude pastorale de la communauté chrétienne
mais aussi et surtout l'évangélisation de leurs compatriotes qui ne font pas
partie de son troupeau. Ils « ne manqueront pas de se rendre effectivement
disponibles à l'égard de l'Esprit Saint et de l'évêque, afin d'être envoyés pour
prêcher l’Évangile au-delà des frontières de leur pays. Cela exigera d'eux non
seulement la maturité dans la vocation, mais aussi une capacité peu commune de
se détacher de leur patrie, de leur ethnie, de leur famille, et une aptitude
remarquable à s'intégrer dans d'autres cultures, avec intelligence et respect »
.
68. Dans
l'encyclique Fidei donum, Pie XII, avec une intuition prophétique,
encouragea les évêques à donner quelques-uns de leurs prêtres pour un service
temporaire des Églises d'Afrique, approuvant en même temps les initiatives qui
existaient déjà dans ce domaine. Vingt-cinq ans plus tard, j'ai voulu souligner
la grande nouveauté de ce document « qui a fait dépasser la dimension
territoriale du service presbytéral pour l'ouvrir à l’Église tout entière »
.
Aujourd'hui, la valeur et la fécondité de cette expérience sont confirmées; en
effet, ceux qu'on appelle les prêtres Fidei donum mettent en évidence
d'une manière singulière les liens de communion entre les Églises, ils
fournissent un précieux apport à la croissance de communautés ecclésiales dans
le besoin, et de leur côté ils reçoivent d'elles la fraîcheur et la vitalité de
leur foi. Il faut, bien sûr, que le service missionnaire du prêtre diocésain
réponde à certains critères et à certaines conditions. On doit envoyer des
prêtres choisis parmi les meilleurs, aptes et dûment préparés à la tâche
particulière qui les attend
.
Ils devront s'intégrer dans le nouveau milieu ecclésial qui les accueille avec
un esprit ouvert et fraternel, et ils constitueront un unique presbyterium avec
les prêtres du lieu, sous l'autorité de l'évêque
.
Je souhaite que l'esprit de service de ces prêtres augmente au sein du
presbyterium des Églises anciennes et qu'il se développe dans celui des Églises
plus récentes.
69. Dans la
richesse inépuisable et multiforme de l'Esprit prennent place les vocations des
Instituts de vie consacrée, dont les membres, puisqu'ils « se vouent au
service de l’Église en vertu même de leur consécration, sont tenus par
l'obligation de travailler de manière spéciale à l'œuvre missionnaire, selon le
mode propre à leur Institut »
.
L'histoire atteste les grands mérites des familles religieuses dans la
propagation de la foi et dans la formation de nouvelles Églises, depuis les
antiques Institutions monastiques et les Ordres médiévaux jusqu'aux
Congrégations modernes.
a) A la
suite du Concile, j'invite les Instituts de vie contemplative à établir
des communautés dans les jeunes Églises afin de rendre, « parmi les
non-chrétiens, un magnifique témoignage de la majesté et de la charité de Dieu,
et de l'union dans le Christ »
.
Cette présence est partout bienfaisante dans le monde non chrétien, spécialement
dans les régions où les religions ont une grande estime pour la vie
contemplative à cause de l'ascèse et de la recherche de l'Absolu.
b) Je
rappelle aux Instituts de vie active qu'ils ont devant eux les immenses
espaces de la charité, de l'annonce de l’Évangile, de l'éducation chrétienne, de
la culture et de la solidarité avec les pauvres, les victimes de la
discrimination, les marginaux et les opprimés. Ces Instituts, qu'ils poursuivent
ou non une fin strictement missionnaire, doivent se demander s'ils peuvent et
s'ils veulent étendre leur activité en vue de l'expansion du règne de Dieu.
Cette demande a été accueillie positivement, ces tout derniers temps, par de
nombreux Instituts, mais je voudrais qu'elle soit davantage étudiée et mise en
pratique en vue d'un service authentique. L’Église doit faire connaître les
grandes valeurs évangéliques dont elle est porteuse, et personne ne témoigne de
façon plus convaincante de ces valeurs que ceux qui font profession de vie
consacrée dans la chasteté, la pauvreté et l'obéissance, par un don total à Dieu
et une pleine disponibilité pour servir l'homme et la société à l'exemple du
Christ
.
70. J'adresse un
mot spécial d'estime aux religieuses missionnaires, chez qui la virginité pour
le Royaume se traduit en multiples fruits de maternité spirituelle: la mission
ad gentes leur offre précisément un vaste champ afin d'y réaliser un
« don de soi pour aimer, de manière totale et sans partage »
.
L'exemple et l'activité de la femme vierge, consacrée à l'amour de Dieu et du
prochain, spécialement le plus pauvre, sont indispensables en tant que signes
évangéliques auprès des peuples et des cultures où la femme doit encore
parcourir un long chemin vers sa promotion humaine et sa libération. Je souhaite
que beaucoup de jeunes femmes chrétiennes se sentent attirées par ce don de soi
généreux au Christ, et qu'elles puisent dans leur consécration la force et la
joie de témoigner de lui parmi les peuples qui l'ignorent.
71. Les papes de
ces derniers temps ont beaucoup insisté sur l'importance du rôle des laïcs dans
l'activité missionnaire
.
Dans l'exhortation Christifideles laici, j'ai, moi aussi, parlé
explicitement de « la mission permanente qui est celle de porter l’Évangile à
tous ceux — et ils sont des millions et des millions d'hommes et de femmes — qui
ne connaissent pas encore le Christ Rédempteur de l'homme »
et de l'engagement correspondant des fidèles laïcs. La mission concerne tout le
Peuple de Dieu: même si la fondation d'une nouvelle Église exige l'Eucharistie,
et donc le ministère sacerdotal, la mission, qui s'effectue sous des formes
diverses, est la tâche de tous les fidèles.
La participation des
laïcs à la diffusion de la foi apparaît clairement dès les premiers temps du
christianisme, grâce à l'action des fidèles et des familles comme de la
communauté tout entière. Pie XII le rappelait déjà en exposant dans sa première
encyclique missionnaire l'histoire des missions laïques
.
La participation active des missionnaires laïcs, hommes et femmes, n'a pas
manqué non plus dans les temps modernes. Comment ne pas rappeler le rôle
important tenu par les missionnaires laïques, leur travail dans les familles,
dans les écoles, dans la vie politique, sociale et culturelle, et en particulier
l'enseignement de la doctrine chrétienne qu'elles assurent ? Il faut même
reconnaître - et c'est tout à leur honneur — que certaines Églises sont nées
grâce à l'activité des laïcs missionnaires, hommes et femmes.
Le Concile Vatican II a
confirmé cette tradition, mettant en lumière le caractère missionnaire de tout
le Peuple de Dieu, en particulier l'apostolat des laïcs
,
et soulignant la contribution spécifique que ceux-ci sont appelés à apporter à
l'activité missionnaire
.
La nécessité pour tous les fidèles de partager une telle responsabilité n'est
pas seulement une question d'efficacité apostolique: c'est un devoir et un droit
fondés sur la dignité conférée par le baptême, en raison de laquelle « les
fidèles laïcs participent, pour leur part, à la triple fonction de Jésus
Christ : sacerdotale, prophétique et royale »
.
C'est pourquoi ils « sont tenus par l'obligation générale et jouissent du droit,
individuellement ou groupés en associations, de travailler à ce que le message
divin du salut soit connu et reçu par tous les hommes et par toute la terre ;
cette obligation est encore plus pressante lorsque ce n'est que par eux que les
hommes peuvent entendre l’Évangile et connaître le Christ »
.
En outre, vu le caractère séculier qui leur est propre, ils ont pour vocation
particulière de « chercher le règne de Dieu à travers la gérance des choses
temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu »
.
72. Les domaines
où les laïcs sont présents et exercent une action missionnaire sont très
étendus. Le premier de ces domaines, « c'est le monde vaste et complexe de la
politique, de la vie sociale, de l'économie... »
,
sur le plan local, national et international. A l'intérieur de l’Église, on
trouve divers types de services, de fonctions, de ministères et de formes
d'animation de la vie chrétienne. Je rappelle, comme une nouveauté que nombre
d’Églises ont vue naître ces derniers temps, le grand développement des
« Mouvements ecclésiaux », doués de dynamisme missionnaire. Lorsqu'ils
s'insèrent avec humilité dans la vie des Églises locales et qu'ils sont
accueillis cordialement par les évêques et les prêtres dans les structures
diocésaines et paroissiales, les Mouvements représentent un véritable don de
Dieu pour la nouvelle évangélisation et pour l'activité missionnaire proprement
dite. Je recommande donc qu'on les développe et que l'on recoure à eux pour
redonner de la vigueur surtout chez les jeunes, à la vie chrétienne et à
l’évangélisation, dans une vision pluraliste des formes d'association et
d'expression.
Dans l'activité
missionnaire, il faut valoriser les diverses façons dont se présente le laïcat,
tout en respectant la nature et la finalité de chacune: associations du laïcat
missionnaire, organismes chrétiens de volontariat international, mouvements
ecclésiaux, groupes et associations de tout genre doivent s'engager dans la
mission ad gentes et dans la collaboration avec les Églises locales.
Ainsi sera favorisée la croissance d'un laïcat mûr et responsable dont « la
formation [...] a sa place dans les jeunes Églises comme élément essentiel et
irremplaçable de l'implantation de l’Église »
.
73. Parmi les
laïcs qui deviennent évangélisateurs se trouvent au premier rang les
catéchistes. Le décret sur les missions les décrit comme « cette armée qui a si
magnifiquement mérité de l'œuvre des missions auprès des païens [...] ; pénétrés
de l'esprit apostolique, [ils] apportent par leurs labeurs considérables une
aide singulière et absolument nécessaire à l'expansion de la foi et de
l’Église »
.
Ce n'est pas sans raison que les Églises de fondation ancienne, s'engageant dans
une nouvelle évangélisation, ont multiplié les catéchistes et intensifié la
catéchèse. « Ce sont les catéchistes en terre de mission qui portent par
excellence ce titre de “catéchistes”. [...] Des Églises aujourd'hui florissantes
ne se seraient pas édifiées sans eux »
.
Malgré la multiplication
des services ecclésiaux et extra-ecclésiaux, le ministère des catéchistes reste
toujours nécessaire et a ses caractéristiques propres: les catéchistes sont des
agents spécialisés, des témoins directs, des évangélisateurs irremplaçables, qui
représentent la force de base des communautés chrétiennes, particulièrement dans
les jeunes Églises, comme je l'ai souvent déclaré et constaté au cours de mes
voyages missionnaires. Le nouveau Code de Droit canonique reconnaît leur tâche,
leurs qualités, les exigences de leur fonction
.
Mais on ne saurait
oublier que le travail des catéchistes se complique de charges nouvelles et plus
amples en raison des changements en cours dans les domaines ecclésial et
culturel. Ce que suggérait déjà le Concile garde toute sa valeur aujourd'hui:
une préparation doctrinale et pédagogique approfondie, un constant
renouvellement spirituel et apostolique, la nécessité de « procurer un état de
vie décent et la sécurité sociale » aux catéchistes
.
Il est important également de favoriser la création et le développement d'écoles
de formation pour catéchistes, qui, une fois approuvées par les Conférences
épiscopales, confèrent des diplômes officiellement reconnus par ces dernières
.
74. A côté des
catéchistes, il faut rappeler les autres formes de service de la vie de l’Église
et de la mission et les autres fonctions: animateurs de la prière, du chant et
de la liturgie, chefs de communautés ecclésiales de base et de groupes
bibliques ; responsables des œuvres de charité ; administrateurs des biens de
l’Église ; dirigeants des divers groupes d'apostolat ; enseignants de religion
dans les écoles. Tous les fidèles laïcs doivent consacrer à l’Église une partie
de leur temps, en vivant d'une manière cohérente avec leur foi.
La Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples et les autres structures
de l'activité missionnaire
75. Les
responsables et les agents de la pastorale missionnaire doivent se sentir unis
dans la communion qui caractérise le Corps mystique. Le Christ a prié à cette
intention à la dernière Cène : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi,
qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé » (Jn
17, 21). C'est dans cette communion que réside le fondement de la fécondité de
la mission.
Mais l’Église est
également une communion visible et organique et c'est pourquoi la mission
requiert une union extérieure et ordonnée entre les diverses responsabilités et
les diverses fonctions, de façon que tous les membres « dépensent leurs forces
d'un même cœur pour la construction de l’Église »
.
Il incombe au Dicastère
missionnaire « de diriger et de coordonner dans le monde entier l'œuvre même de
l'évangélisation des peuples et la coopération missionnaire, étant sauve la
compétence de la Congrégation pour les Églises orientales »
.
C'est donc par ce Dicastère que « doivent être suscités, et répartis selon les
besoins les plus urgents des régions, les missionnaires. C'est par lui que doit
être établi un plan rationnel d'action; de lui que doivent provenir les normes
directrices et les principes adoptés en vue de l'évangélisation; par lui que
doivent être données les impulsions »
.
Je ne puis que confirmer ces sages dispositions: pour relancer la mission ad
gentes, il faut le centre d'impulsion, de direction et de coordination
qu'est la Congrégation pour l’Évangélisation. J'invite les Conférences
épiscopales et leurs organismes, les supérieurs majeurs des Ordres, des
Congrégations et des Instituts, les organismes de laïcs engagés dans l'activité
missionnaire, à collaborer fidèlement avec cette Congrégation, qui a l'autorité
nécessaire pour organiser et diriger l'activité et la coopération missionnaires
au niveau universel.
Cette même Congrégation,
qui a derrière elle une longue et glorieuse expérience, est appelée à jouer un
rôle de première importance sur le plan de la réflexion et des programmes
d'action dont l’Église a besoin pour se tourner de façon plus décisive vers la
mission sous ses différentes formes. A cette fin, la Congrégation doit
entretenir des rapports étroits avec les autres Dicastères du Saint-Siège, avec
les Églises particulières et avec les fCette même Congrégation, qui a derrière
elle une longue et glorieuse expérience, est appelée à jouer un rôle de première
importance sur le plan de la réflexion et des programmes d'action dont l’Église
a besoin pour se tourner de façon plus décisive vers la mission sous ses
différentes formes. A cette fin, la Congrégation doit entretenir des rapports
étroits avec les autres Dicastères du Saint-Siège, avec les Églises
particulières et avec les forces missionnaires. Selon une ecclésiologie de
communion, toute l’Église est missionnaire, mais il se confirme aussi que des
vocations et des institutions spécifiques pour le travail ad gentes sont
toujours indispensables; c'est pourquoi le rôle de direction et de coordination
de ce Dicastère missionnaire reste très important afin que tous s'attaquent
ensemble aux grandes questions d'intérêt commun, étant sauves les compétences
propres de chaque autorité et de chaque structure.
76. Au niveau
national et régional, les Conférences épiscopales et leurs divers regroupements
revêtent une grande importance pour l'orientation et la coordination de
l'activité missionnaire. Le Concile leur demande de « traiter en plein accord
des questions les plus graves et des problèmes les plus urgents, sans négliger
cependant les différences locales »
,
et de traiter aussi du problème de l'inculturation. Concrètement, il y a déjà
une activité étendue et régulière dans ce domaine, et les fruits en sont
visibles. Cette activité doit être intensifiée et mieux reliée à celle d'autres
organismes des mêmes Conférences épiscopales, afin que la sollicitude
missionnaire ne soit pas laissée à un secteur ou à un organisme donné mais
qu'elle soit partagée par tous. Ces organismes et les institutions qui se
livrent à l'activité missionnaire prendront soin de coordonner les efforts et
les initiatives. Les Conférences des supérieurs majeurs le feront pour ce qui
les concerne, en relation avec les Conférences épiscopales, conformément aux
indications et aux normes établies
,
en recourant aussi à des commissions mixtes
.
Enfin, il est souhaitable qu'il y ait des rencontres et des formes de
collaboration entre les diverses institutions missionnaires, tant pour la
formation et les études
que pour l'action apostolique à conduire.
LA COOPÉRATION A L'ACTIVITÉ MISSIONNAIRE
77. Membres de
l’Église en vertu de leur baptême, tous les chrétiens sont coresponsables de
l'activité missionnaire. La participation des communautés et des fidèles à ce
droit et à ce devoir est appelée « coopération missionnaire ».
Cette coopération
s'enracine et se vit avant tout dans l'union personnelle au Christ : c'est
seulement si l'on est uni à lui comme les sarments à la vigne (cf. Jn 15,
5) que l'on peut porter de bons fruits. La sainteté de la vie permet à tout
chrétien d'être fécond dans la mission de l’Église : le Saint Concile invite
« tous les chrétiens à une profonde rénovation intérieure, afin qu'ayant une
conscience vive de leur propre responsabilité dans la diffusion de l’Évangile,
ils assument leur part dans l'œuvre missionnaire auprès des païens »
.
La participation à la
mission universelle ne se réduit donc pas à quelques activités particulières
mais elle est le signe de la maturité de la foi et d'une vie chrétienne qui
porte du fruit. Ainsi, le croyant élargit les dimensions de sa charité,
manifestant sa sollicitude pour ceux qui sont loin comme pour ceux qui sont
près : il prie pour les missions et pour les vocations missionnaires, il aide
les missionnaires, il suit avec intérêt leur activité et, quand ils reviennent,
il les accueille avec la même joie que celle avec laquelle les premières
communautés chrétiennes écoutaient les Apôtres décrire les merveilles que Dieu
avait accomplies par leur prédication (cf. Ac 14, 27).
78. Parmi les
formes de participation, la première place revient à la coopération spirituelle:
prière, sacrifice, témoignage de vie chrétienne. La prière doit accompagner les
missionnaires dans leur marche afin que l'annonce de la Parole soit rendue
efficace par la grâce divine. Saint Paul demande souvent dans ses Lettres
que les fidèles prient pour lui afin qu'il lui soit accordé d'annoncer
l’Évangile avec confiance et audace.
A la prière, il est
nécessaire d'unir le sacrifice. La valeur salvifique de toute souffrance
acceptée et offerte à Dieu avec amour découle du sacrifice du Christ, qui
appelle les membres de son Corps mystique à s'associer à ses propres souffrances
et à les compléter en leur chair (cf. Col 1, 24). Le sacrifice du
missionnaire doit être partagé et soutenu par celui des fidèles. C'est pourquoi
je recommande à ceux qui exercent leur ministère pastoral parmi les malades de
leur apprendre la valeur de la souffrance et de les encourager à l'offrir à Dieu
pour les missionnaires. Par cette offrande, les malades deviennent missionnaires
eux aussi, comme le soulignent certains mouvements nés parmi eux et pour eux. La
solennité de la Pentecôte — jour où commença la mission de l’Église — est
célébrée dans certaines communautés comme la « journée de la souffrance pour les
missions ».
79. La
coopération s'exprime également par la promotion des vocations missionnaires. A
cet égard, il faut reconnaître la valeur des différentes formes d'engagement
missionnaire, mais il faut en même temps réaffirmer la priorité du don de soi
total et perpétuel à l'œuvre des missions, spécialement dans les Instituts
et les Congrégations missionnaires d'hommes et de femmes. La promotion de ces
vocations est au cœur de la coopération: l'annonce de l’Évangile requiert des
annonciateurs, la moisson a besoin d'ouvriers, la mission se fait surtout avec
des hommes et des femmes consacrés pour la vie à l'œuvre de l’Évangile, disposés
à aller dans le monde entier pour porter le salut.
Je désire donc rappeler
et recommander cette sollicitude pour les vocations missionnaires.
Conscients de la responsabilité universelle qu'ont les chrétiens de contribuer à
l'œuvre missionnaire et au développement des peuples pauvres, nous devons tous
nous demander pourquoi, dans un certain nombre de pays, alors que s'accroissent
les dons matériels, les vocations missionnaires risquent de disparaître, elles
qui sont la vraie mesure du don de soi aux autres. Les vocations au sacerdoce et
à la vie consacrée sont un signe certain de la vitalité d'une Église.
80. En pensant à
ce grave problème, j'adresse mon appel avec une confiance et une affection
particulières aux familles et aux jeunes. Que les familles, et surtout les
parents, aient conscience qu'il leur faut apporter « une contribution
particulière à la cause missionnaire de l’Église en cultivant les vocations
missionnaires parmi leurs fils et leurs filles »
.
Une vie de prière
intense, un sens réel du service du prochain et une participation généreuse aux
activités ecclésiales créent dans les familles les conditions favorables à la
vocation des jeunes. Lorsque des parents sont prêts à laisser un de leurs
enfants partir en mission, lorsqu'ils ont demandé cette grâce au Seigneur, il
les récompensera dans la joie le jour où un fils ou une fille entendra son
appel.
Je demande aux jeunes
eux-mêmes d'écouter la parole du Christ qui leur dit, de même qu'à Simon-Pierre
et à André au bord du lac : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs
d'hommes » (Mt 4, 19). Qu'ils osent répondre, comme autrefois Isaïe: « Me
voici, Seigneur, je suis prêt. Envoie-moi » (cf. Is 6, 8)! Ils auront
devant eux une vie fascinante; ils connaîtront le bonheur vrai d'annoncer la
Bonne Nouvelle à des frères et sœurs qu'ils entraîneront sur la route du salut.
81. Les besoins
matériels et économiques des missions sont nombreux, non seulement pour fonder
l’Église avec un minimum de structures (chapelles, écoles de formation des
catéchistes et des séminaristes, logements) mais aussi pour soutenir les œuvres
de charité, d'éducation et de promotion humaine, champ d'action immense,
spécialement dans les pays pauvres. L’Église missionnaire donne ce qu'elle
reçoit, elle distribue aux pauvres ce que ses fils mieux pourvus de biens
matériels mettent généreusement à sa disposition. Je voudrais ici remercier tous
ceux qui donnent, en se sacrifiant, pour l'œuvre missionnaire: leurs privations
et leur participation sont indispensables pour édifier l’Église et témoigner de
la charité.
A propos de l'aide
matérielle, il est important de voir avec quel esprit on donne. Et pour cela il
faut réfléchir à son propre style de vie: les missions ne demandent pas
seulement une aide mais aussi un partage pour l'annonce missionnaire et la
charité envers les pauvres. Tout ce que nous avons reçu de Dieu — la vie comme
les biens matériels — n'est pas à nous: cela est mis à notre disposition. La
générosité avec laquelle on donne doit toujours être éclairée et inspirée par la
foi; alors, vraiment, il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.
La Journée mondiale
des Missions, destinée à sensibiliser les fidèles au problème missionnaire
mais aussi à recueillir des fonds, est un rendez-vous important dans la vie de
l’Église car elle enseigne comment donner : dans la célébration
eucharistique, c'est-à-dire comme offrande à Dieu, et pour toutes les
missions du monde.
82. La
coopération s'élargit aujourd'hui en prenant des formes nouvelles, qui
comportent non seulement l'aide économique mais aussi la participation directe.
Des situations nouvelles liées au phénomène de la mobilité exigent des
chrétiens un authentique esprit missionnaire.
Le tourisme à caractère
international est désormais un fait de masse. Il est positif si on le pratique
dans une attitude respectueuse, en vue d'un mutuel enrichissement culturel, en
évitant l'ostentation et le gaspillage, en cherchant les contacts humains. Mais
aux chrétiens, il est demandé surtout d'avoir conscience qu'il leur faut
toujours être témoins de la foi et de la charité du Christ. La connaissance
directe de la vie missionnaire et des nouvelles communautés chrétiennes peut,
elle aussi, enrichir et affermir la foi. Les visites que l'on rend aux missions
sont une très bonne chose, surtout de la part des jeunes qui y vont pour servir
et pour faire une forte expérience de vie chrétienne.
Les exigences du travail
conduisent aujourd'hui de nombreux chrétiens de jeunes communautés dans des
régions où le christianisme est inconnu, et parfois banni ou persécuté. Il en
est de même pour les fidèles des pays d'ancienne tradition chrétienne qui
travaillent temporairement dans des pays non chrétiens. Ces circonstances
donnent évidemment l'occasion de vivre sa foi et d'en témoigner. Dans les
premiers siècles, le christianisme s'est répandu surtout parce que les chrétiens
qui voyageaient ou allaient s'établir dans des régions où le Christ n'avait pas
été annoncé, y témoignaient de leur foi avec courage et y fondaient les
premières communautés.
Plus nombreux encore
sont les citoyens des pays de mission et les fidèles de religions non
chrétiennes qui vont s'établir dans d'autres pays, pour des motifs d'études et
de travail, ou bien contraints par la situation politique ou économique de leur
lieu d'origine. La présence de ces frères dans les pays de chrétienté ancienne
est pour les communautés ecclésiales un défi qui les incite à l'accueil, au
dialogue, au service, au partage, au témoignage et à l'annonce directe. En
pratique, même dans les pays chrétiens, se forment des groupes humains et
culturels qui appellent la mission ad gentes, et les Églises locales,
avec au besoin l'aide de personnes provenant des pays des immigrés et de
missionnaires rentrés chez eux, doivent se pencher avec générosité sur ces
situations.
La coopération peut
aussi engager les responsables de la politique, de l'économie, de la culture, du
journalisme, sans oublier également les experts des diverses Organisations
internationales. Dans le monde moderne, il est de plus en plus difficile de
tracer des lignes de démarcation géographiques ou culturelles : il y a une
interdépendance croissante entre les peuples, et cela constitue un stimulant
pour le témoignage chrétien et l'évangélisation.
83. La formation
missionnaire est l'œuvre de l’Église locale avec l'aide des missionnaires et de
leurs Instituts, ainsi que du personnel des jeunes Églises. Cette tâche doit
être considérée non pas comme marginale mais comme centrale dans la vie
chrétienne. Même pour la nouvelle évangélisation des peuples chrétiens, le thème
missionnaire peut aider grandement: le témoignage des missionnaires conserve en
effet son attrait même auprès de ceux qui sont loin et auprès des non-croyants,
et il transmet des valeurs chrétiennes. Que les Églises locales utilisent donc
l'animation missionnaire comme élément clé de leur pastorale courante dans les
paroisses, les associations et les groupes, surtout de jeunes !
A cette fin servira
avant tout l'information par la presse missionnaire et par les divers moyens
audiovisuels. Leur rôle est d'une grande importance, car ils font connaître la
vie de l’Église universelle ainsi que la voix et les expériences des
missionnaires et des Églises locales où ils sont à l'œuvre. Il importe que dans
les Églises plus jeunes, qui ne sont pas encore en mesure de se doter d'une
presse ou d'autres instruments, les Instituts missionnaires consacrent le
personnel et les moyens voulus à ces initiatives.
Sont appelés à donner
cette formation les prêtres et leurs collaborateurs, les éducateurs et les
enseignants, les théologiens, spécialement ceux qui enseignent dans les
séminaires et dans les centres pour les laïcs. L'enseignement théologique ne
peut ni ne doit ignorer la mission universelle de l’Église, l'œcuménisme,
l'étude des grandes religions et de la missiologie. Je recommande que, surtout
dans les séminaires et dans les maisons de formation pour religieux et
religieuses, on se livre à une telle étude, en veillant aussi à ce que quelques
prêtres ou quelques étudiants et étudiantes se spécialisent dans les divers
secteurs des sciences missiologiques.
Les activités
d'animation doivent toujours être orientées vers leurs fins spécifiques :
informer et former le Peuple de Dieu en ce qui concerne la mission universelle
de l’Église, faire naître des vocations ad gentes, susciter la
coopération à l'évangélisation. Il ne faut pas donner une image réductrice de
l'activité missionnaire, comme si elle consistait principalement à aider les
pauvres, à contribuer à la libération des opprimés, à promouvoir le
développement, à défendre les droits de l'homme. L’Église missionnaire est
également engagée sur ces fronts, mais sa tâche principale est autre : les
pauvres ont faim de Dieu, et pas seulement de pain et de liberté, et l'activité
missionnaire doit avant tout témoigner du salut en Jésus Christ et annoncer ce
salut, en fondant les Églises locales qui sont ensuite des instruments de
libération, dans tous les sens du terme.
84. Dans cette
activité d'animation, la tâche première revient aux Œuvres pontificales
missionnaires, comme je l'ai souvent affirmé dans les Messages pour la
Journée mondiale des Missions. Les quatre Œuvres — Propagation de la foi,
Saint-Pierre-Apôtre, Enfance missionnaire et Union missionnaire — ont un but
commun: promouvoir l'esprit missionnaire universel au sein du Peuple de Dieu.
L'Union missionnaire a comme fin immédiate et spécifique la sensibilisation et
la formation missionnaires des prêtres, des religieux et des religieuses, qui
doivent à leur tour assurer cette formation dans les communautés chrétiennes ;
en outre, elle vise à promouvoir les autres Œuvres, dont elle est l'âme
.
« Le mot d'ordre doit être celui-ci : Toutes les Églises pour la conversion du
monde entier »
.
Œuvres du Pape et du
Collège épiscopal, même au niveau des Églises particulières, elles occupent « à
bon droit [...] la première place, puisqu'elles sont des moyens pour pénétrer
les catholiques, dès leur enfance, d'un esprit vraiment universel et
missionnaire, et pour provoquer une collecte efficace de subsides au profit de
toutes les missions selon les besoins de chacune »
.
Un autre but des Œuvres missionnaires est de susciter des vocations ad gentes,
pour toute la vie, dans les Églises anciennes comme dans les plus jeunes. Je
recommande vivement d'orienter toujours davantage leur service d'animation vers
cette fin.
Dans l'exercice de leur
activité, ces Œuvres dépendent, au niveau universel, de la Congrégation pour
l’Évangélisation et, au niveau local, de la Conférence épiscopale et des évêques
des Églises particulières, en collaboration avec les centres d'animation
existants : elles apportent au monde catholique l'esprit d'universalité et de
service de la mission sans lequel il n'y a pas de coopération authentique.
85. Coopérer à la
mission veut dire non seulement donner, mais aussi savoir recevoir. Toutes les
Églises particulières, jeunes et anciennes, sont appelées à donner et à recevoir
pour la mission universelle, et aucune ne doit se refermer sur elle-même. « En
vertu de cette catholicité — dit le Concile —, chacune des parties apporte aux
autres et à l’Église tout entière le bénéfice de ses propres dons, en sorte que
le tout et chacune des parties s'accroissent par un échange mutuel universel et
par un effort commun vers la plénitude dans l'unité. [...] De là, entre les
diverses parties de l’Église, des liens de communion intime quant aux richesses
spirituelles, aux ouvriers apostoliques et aux ressources matérielles »
.
J'exhorte toutes les
Églises et les pasteurs, les prêtres, les religieux et les fidèles à s'ouvrir
à l'universalité de l’Église, écartant toutes les formes de particularisme,
d'exclusivisme ou de sentiment d’autosuffisance. Les Églises locales, tout en
étant enracinées dans leur peuple et dans leur culture, doivent maintenir
concrètement ce sens de l'universalité de la foi, en offrant aux autres Églises
et en recevant d'elles dons spirituels, expériences pastorales de première
annonce et d'évangélisation, personnel apostolique et moyens matériels.
En effet, la tendance à
se refermer peut être forte: les Églises anciennes, engagées dans la nouvelle
évangélisation, pensent qu'elles doivent maintenant mener la mission chez elles,
et elles risquent d'affaiblir l'élan vers le monde non chrétien, admettant de
mauvaise grâce les vocations en faveur des Instituts missionnaires, des
Congrégations religieuses ou des autres Églises. C'est au contraire en donnant
généreusement de notre bien que nous recevrons ; déjà aujourd'hui les jeunes
Églises, dont bon nombre connaissent une prodigieuse floraison de vocations,
sont en mesure d'envoyer des prêtres, des religieux et des religieuses aux plus
anciennes. D'autre part, les jeunes Églises ressentent le problème de leur
identité, de l'inculturation, de la liberté de croître en dehors de toute
influence extérieure, avec comme conséquence possible de fermer la porte aux
missionnaires. A ces Églises, je dis : loin de vous isoler, accueillez
volontiers les missionnaires et l'aide des autres Églises, et envoyez-en
vous-mêmes dans le monde! C'est précisément en raison des problèmes qui vous
préoccupent que vous avez besoin de rester en relations constantes avec vos
frères et sœurs dans la foi. Par tout moyen légitime, faites valoir les libertés
auxquelles vous avez droit, en vous souvenant que les disciples du Christ ont le
devoir d’« obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes » (Ac 5, 29).
86. Si l'on
regarde superficiellement notre monde, on est frappé par bien des faits négatifs
qui peuvent porter au pessimisme. Mais c'est là un sentiment injustifié : nous
avons foi en Dieu, Père et Seigneur, en sa bonté et en sa miséricorde. Alors que
nous sommes proches du troisième millénaire de la Rédemption, Dieu est en train
de préparer pour le christianisme un grand printemps que l'on voit déjà poindre.
En effet, que ce soit dans le monde non chrétien ou dans le monde de chrétienté
ancienne, les peuples ont tendance à se rapprocher progressivement des idéaux et
des valeurs évangéliques, tendance que l’Église s'efforce de favoriser.
Aujourd'hui se manifeste parmi les peuples une nouvelle convergence à l'égard de
ces valeurs: le refus de la violence et de la guerre, le respect de la personne
humaine et de ses droits, la soif de liberté, de justice et de fraternité, la
tendance à surmonter les racismes et les nationalismes, l'affirmation de la
dignité de la femme et sa valorisation.
L'espérance chrétienne
nous soutient pour nous engager à fond dans la nouvelle évangélisation et dans
la mission universelle, et nous pousse à prier comme Jésus nous l'a enseigné :
« Que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Mt
6, 10).
Les hommes qui attendent
le Christ sont encore en nombre incalculable: les espaces humains et culturels
non encore atteints par l'annonce de l’Évangile ou dans lesquels l’Église est
peu présente sont extrêmement vastes, au point d'exiger l'unité de toutes ses
forces. En se préparant à célébrer le jubilé de l'an deux mille, toute l’Église
est encore plus engagée dans un nouvel Avent missionnaire. Nous devons
entretenir en nous la passion apostolique de transmettre à d'autres la lumière
et la joie de la foi, et nous devons former à cet idéal tout le Peuple de Dieu.
Nous ne pouvons pas
avoir l'esprit tranquille en pensant aux millions de nos frères et sœurs,
rachetés eux aussi par le sang du Christ, qui vivent dans l'ignorance de l'amour
de Dieu. Pour le chrétien individuel comme pour l’Église entière, la cause
missionnaire doit avoir la première place, car elle concerne le destin éternel
des hommes et répond au dessein mystérieux et miséricordieux de Dieu.
LA SPIRITUALITÉ MISSIONNAIRE
87. L'activité
missionnaire exige une spiritualité spécifique qui concerne en particulier ceux
que Dieu a appelés à être missionnaires.
Cette spiritualité
s'exprime avant tout par le fait de vivre en pleine docilité à l'Esprit,
docilité qui engage à se laisser former intérieurement par lui afin de devenir
toujours plus conforme au Christ. On ne peut témoigner du Christ sans refléter
son image, qui est rendue vivante en nous par la grâce et par l'action de
l'Esprit. La docilité à l'Esprit engage par ailleurs à accueillir ses dons de
courage et de discernement, qui sont des traits essentiels de la spiritualité
missionnaire.
Le cas des Apôtres est
exemplaire, eux qui durant la vie publique du Maître, malgré leur amour pour lui
et la générosité de leur réponse à son appel, se montrent incapables de
comprendre ses paroles et réticents à le suivre sur la voie de la souffrance et
de l'humiliation. L'Esprit les transformera en témoins courageux du Christ et en
annonciateurs éclairés de sa Parole. C'est l'Esprit qui les conduira sur les
chemins ardus et nouveaux de la mission.
Aujourd'hui comme hier,
la mission reste difficile et complexe; aujourd'hui comme hier, elle requiert le
courage et la lumière de l'Esprit. Nous vivons souvent le drame de la première
communauté chrétienne, qui voyait des foules incrédules et hostiles « se
rassembler de concert contre le Seigneur et contre son Oint » (Ac 4, 26).
Comme hier, il faut prier pour que Dieu nous donne l'audace de proclamer
l’Évangile ; il faut scruter les voies mystérieuses de l'Esprit, et se laisser
conduire par lui à toute la vérité (cf. Jn 16, 13).
88. La communion
intime avec le Christ est un élément essentiel de la spiritualité missionnaire:
on ne peut comprendre ni vivre la mission qu'en se référant au Christ comme à
celui qui a été envoyé pour évangéliser. Paul en décrit les comportements :
« Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus: Lui, de
condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais
il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux
hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant
jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix » (Ph 2, 5-8).
Ici se trouve décrit le
mystère de l'Incarnation et de la Rédemption comme dépouillement total de soi
qui amène le Christ à vivre pleinement la condition humaine et à adhérer
jusqu'au bout au dessein du Père. Il s'agit d'un anéantissement qui est
toutefois empreint d'amour et qui exprime l'amour. La mission parcourt ce même
chemin et a son aboutissement au pied de la Croix.
Il est demandé au
missionnaire de « renoncer à lui-même et à tout ce qu'il a possédé jusque-là, et
de se faire tout à tous »
,
dans la pauvreté qui le rend libre pour l’Évangile, dans le détachement des
personnes et des biens de son milieu pour se faire le frère de ceux à qui il est
envoyé et leur apporter le Christ sauveur. C'est à cela que tend la spiritualité
du missionnaire : « Je me suis fait faible avec les faibles... Je me suis fait
tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais
à cause de l’Évangile... » (1 Co 9, 22-23).
Précisément parce qu'il
est « envoyé », le missionnaire expérimente la présence réconfortante du Christ
qui l'accompagne à tout instant de sa vie : « N'aie pas peur... car je suis avec
toi » (Ac 18, 9-10), et il l'attend au cœur de tout homme et de tout
peuple.
89. La
spiritualité missionnaire est caractérisée également par la charité apostolique,
celle du Christ venu « afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu
dispersés » (Jn 11, 52), du Bon Pasteur qui connaît ses brebis, qui les
cherche et qui offre sa vie pour elles (Jn 10). Celui qui a l'esprit
missionnaire éprouve le même amour que le Christ pour les âmes et aime l’Église
comme le Christ.
Le missionnaire est
poussé par le « zèle pour les âmes », qui s'inspire de la charité même du
Christ, faite d'attention, de tendresse, de compassion, d'accueil, de
disponibilité, d'intérêt pour les problèmes d'autrui. L'amour de Jésus pénètre
en profondeur : lui qui « connaissait ce qu'il y avait dans l'homme » (Jn
2, 25), aimait tous les hommes en leur offrant la rédemption et souffrait quand
on refusait le salut.
Le missionnaire est
l'homme de la charité: pour pouvoir annoncer à chacun de ses frères qu'il est
aimé de Dieu et qu'il peut lui-même aimer, il doit faire preuve de charité
envers tous, dépensant sa vie pour son prochain. Le missionnaire est le « frère
universel », il porte en lui l'esprit de l’Église, son ouverture et son intérêt
envers tous les peuples et tous les hommes, spécialement les plus petits et les
plus pauvres. Comme tel, il dépasse les frontières et les divisions de race, de
caste ou d'idéologie: il est signe de l'amour de Dieu dans le monde,
c'est-à-dire de l'amour sans aucune exclusion ni préférence.
Enfin, comme le Christ,
il doit aimer l’Église : « Le Christ a aimé l’Église : il s'est livré pour
elle » (Ep 5, 25). Cet amour, qui va jusqu'au don de la vie, est pour lui
un point de repère. Seul un profond amour pour l’Église peut soutenir le zèle du
missionnaire; son obsession quotidienne est — comme le dit saint Paul — « le
souci de toutes les Églises » (2 Co 11, 28). Pour tout missionnaire, « la
fidélité au Christ est inséparable de la fidélité à son Église »
.
90. L'appel à la
mission découle par nature de l'appel à la sainteté. Tout missionnaire n'est
authentiquement missionnaire que s'il s'engage sur la voie de la sainteté : « La
sainteté est un fondement essentiel et une condition absolument irremplaçable
pour l'accomplissement de la mission de salut de l’Église »
.
La vocation
universelle à la sainteté est étroitement liée à la vocation universelle
à la mission: tout fidèle est appelé à la sainteté et à la mission. Ainsi,
le Concile souhaitait ardemment, « en annonçant à toutes les créatures la bonne
nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui
resplendit sur le visage de l’Église »
.
La spiritualité missionnaire de l’Église est un chemin vers la sainteté.
L'élan renouvelé vers la
mission ad gentes demande de saints missionnaires. Il ne suffit pas de
renouveler les méthodes pastorales, ni de mieux organiser et de mieux coordonner
les forces de l’Église, ni d'explorer avec plus d'acuité les fondements
bibliques et théologiques de la foi: il faut susciter un nouvel « élan de
sainteté » chez les missionnaires et dans toute la communauté chrétienne, en
particulier chez ceux qui sont les plus proches collaborateurs des missionnaires
.
Rappelons-nous, chers
Frères et Sœurs, l'élan missionnaire des premières communautés chrétiennes.
Malgré la pauvreté des moyens de transport et de communication d'alors,
l'annonce de l’Évangile a atteint en peu de temps les limites du monde. Et il
s'agissait de la religion d'un Homme mort en croix, « scandale pour les Juifs et
folie pour les païens » ( 1 Co 1, 23 ) ! A la base de ce dynamisme
missionnaire, il y avait la sainteté des premiers chrétiens et des premières
communautés.
91. C'est
pourquoi je m'adresse aux baptisés des jeunes communautés et des jeunes Églises.
C'est vous qui êtes, aujourd'hui, l'espérance de notre Église, qui a deux mille
ans: étant jeunes dans la foi, vous devez être comme les premiers chrétiens et
rayonner l'enthousiasme et le courage, en vous donnant généreusement à Dieu et
au prochain; en un mot, vous devez vous mettre sur la voie de la sainteté. Ce
n'est qu'ainsi que vous pouvez être des signes de Dieu dans le monde, et revivre
dans vos pays l'épopée missionnaire de l’Église primitive. Vous serez aussi des
ferments d'esprit missionnaire pour les Églises plus anciennes.
Que les missionnaires,
de leur côté, réfléchissent sur le devoir de la sainteté que le don de la
vocation leur demande, en se renouvelant de jour en jour par une transformation
spirituelle et en mettant à jour continuellement leur formation doctrinale et
pastorale. Le missionnaire doit être « un contemplatif en action ». La réponse
aux problèmes, il la trouve à la lumière de la parole divine et dans la prière
personnelle et communautaire. Le contact avec les représentants des traditions
spirituelles non chrétiennes, en particulier celles de l'Asie, m'a confirmé que
l'avenir de la mission dépend en grande partie de la contemplation. Le
missionnaire, s'il n'est pas un contemplatif, ne peut annoncer le Christ d'une
manière crédible; il est témoin de l'expérience de Dieu et doit pouvoir dire
comme les Apôtres : « Ce que nous avons contemplé..., le Verbe de vie..., nous
vous l'annonçons » ( 1 Jn 1, 1-3).
Le missionnaire est
l'homme des Béatitudes. Avant de les envoyer évangéliser, Jésus instruit les
Douze en leur montrant les voies de la mission: pauvreté, douceur, acceptation
des souffrances et des persécutions, désir de justice et de paix, charité,
c'est-à-dire précisément les Béatitudes, réalisées dans la vie apostolique (cf.
Mt 5, 1-12). En vivant les Béatitudes, le missionnaire expérimente et
montre concrètement que le Règne de Dieu est déjà venu et qu'il l'a déjà
accueilli. La caractéristique de toute vie missionnaire authentique est la joie
intérieure qui vient de la foi. Dans un monde angoissé et oppressé par tant de
problèmes, qui est porté au pessimisme, celui qui annonce la Bonne Nouvelle doit
être un homme qui a trouvé dans le Christ la véritable espérance.
92. L’Église n'a
jamais eu autant que maintenant l'occasion de faire parvenir l’Évangile, par le
témoignage et la parole, à tous les hommes comme à tous les peuples. Je vois se
lever l'aube d'une nouvelle ère missionnaire qui deviendra un jour radieux et
riche de fruits si tous les chrétiens, et en particulier les missionnaires et
les jeunes Églises, répondent avec générosité et sainteté aux appels et aux
défis de notre temps.
Comme les Apôtres après
l'Ascension du Christ, l’Église doit de réunir au Cénacle « avec Marie, Mère de
Jésus » (Ac 1, 14), afin d'implorer l'Esprit et d'obtenir force et
courage pour obéir au précepte missionnaire. Nous aussi, et bien plus que les
Apôtres, nous avons besoin d'être transformés et guidés par l'Esprit.
A la veille du troisième
millénaire, toute l’Église est invitée à vivre plus intensément le mystère du
Christ, en collaborant dans l'action de grâce à l'œuvre du salut. Elle le fait
avec Marie et comme Marie, sa mère et son modèle. Marie est le modèle de l'amour
maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à la mission
apostolique de l’Église, travaillent à la régénération des hommes. C'est
pourquoi, « soutenue par la présence du Christ [...], l’Église marche au cours
du temps vers la consommation des siècles et va à la rencontre du Seigneur qui
vient ; mais sur ce chemin [...], elle progresse en suivant l'itinéraire
accompli par la Vierge Marie »
.
C'est à la « médiation
de Marie, tout orientée vers le Christ et tendue vers la révélation de sa
puissance salvifique »
,
que je confie l’Église et en particulier ceux qui se consacrent à la mise en
œuvre du précepte missionnaire dans le monde d'aujourd'hui. De même que le
Christ envoya ses Apôtres au nom du Père, du Fils et de l'Esprit Saint, ainsi,
renouvelant le même commandement, je vous envoie à tous ma Bénédiction
apostolique au nom de la Trinité Sainte. Amen.
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 7 décembre 1990, XXVe anniversaire du Décret
conciliaire "Ad gentes", en la treizième année de mon pontificat.


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